Avec ce temps froid, ce vent si glacé qu'il arrive à me refroidir malgré mon snood en laine et ma capuche, je sonne et je pousse la grille du jardinet. Elle est là, juste derrière sa porte ancienne, avec une grille en fer forgé patiné par les décennies. Ma mamie m'accueille au chaud, dans ce "chez elle" où tout est différent.
La chaleur, car il fait toujours un peu trop chaud, c'est l'âge qui veut cela. Un chauffage et pourtant elle allume, tous les jours de l'automne et de l'hiver, sa cheminée. Celle-ci crépite dans le petit salon, car ici les dimensions sont d'origine, une cuisine tout petite, à peine assez grande pour y poser les casseroles, encore moins pour mettre une table pour quatre. Alors j'aime me lover dans la salle à manger, avec un chocolat chaud, des tartines grillées de bon pain et sa confiture maison. Avec des fraises caramélisées dans leur jus, entières parfois, provenant du fond du jardin, juste derrière cette fenêtre. Vous pourriez voir Maigret traverser les lieux, sans être surpris, car le mobilier, ce vaisselier par exemple, est dans son odeur d'origine. Cire d'abeille, poussières un peu aussi, vieux tapis et quelques vieux rideaux, elle n'a plus envie de changer. Elle trouve de toute façon le design suédois de mon studio un peu morne pour ne pas dire triste. Alors des cuivres sont posés çà et là, des théières anciennes aussi, avec quelques écharpes en cours. Oui elle tricote, elle commence souvent, finit parfois mais pour l'hiver suivant. L'amusement reste sa motivation, car dès qu'il fait beau, elle sort marcher dans son jardin ou dans le parc voisin, avec des amies. Le club des veuves, dit-elle en rigolant.
Sinon, elle peint dans son atelier, l'ancien bureau de son feu-mari, une expression qui me surprend toujours, dès qu'un rayon de soleil entre dans la pièce. Et puis il y a un salon minuscule, plutôt une bibliothèque minuscule avec des tas nombreux de livres, des piles qui tombent et reprennent forme, mélangeant les lectures en cours et les romans jamais finis. Elle écoute de la musique sur des vinyls vintage, elle aime vivre en dehors de son temps, mais un ordinateur portable n'est jamais loin car elle adore internet pour parler avec sa petite famille éparpillée en province et même à l'étranger pour les études. Mais son réel trésor, c'est l'étage avec les trois chambres, le carrelage ancien, la salle de bains avec sa baignoire des années 60. Dans l'une des pièces, elle stocke toute sa garde-robe depuis sept décennies, sans rien jeter. Très coquette, très charmeuse et élégante, depuis sa jeunesse, elle coud, elle achète et conserve sa mode. Alors pour ses petites filles, c'est un voyage dans le temps. Avec les accessoires de chaque époque, des gants et des chapeaux, et toutes ses chaussures. Nous avons prié pour avoir la même pointure, pour pouvoir nous glisser dans ses bottines, ses escarpins et ses bottes, finalement, ce sera les robes, même si moyenne nous faisons quinze bons centimètres de plus qu'elle. Mais la même taille, la même poitrine, juste des jambes plus longues. Aujourd'hui je viens pour trouver quelques perles pour le weekend, des balades avec des amies, un resto avec mon amoureux. Elle rit et dans ses yeux elle savoure ce bonheur de la transmission durant les essayages. Pour cette robe, elle cherche dans un tiroir plus que rempli des gants et ajoute des bas nylon avec couture. Un clin d'oeil sur sa féminité, sur cette mode qui redevient à la mode, sur cette touche de volupté pour soi. Je l'adore.
Merci Mamie.
Nylonement