Le sommeil échoué dans les premiers du jour, le chant des oiseaux, de grands bavardages mélodiques entre arbustes et branchages, je reste dans le flot de mes draps. Seul.
Les rêves comme un ressac régulier qui clapote sur l'oreiller, pour forcer mes yeux à replonger en eux. Retourner dans l'ivresse des pensées irrégulières, divaguer mollement avec un conscient assoupi, respirer avec un incosncient coquin.. Je revois cette soirée romantique à souhait, presque kitsch sur ce minuscule balcon, des lumières dans les bambous, des bougies sur la table, une décoration entre rouge et noir, le seau de glace, les tapas, le champagne au frais. Deux coupes et son sourire complice en les voyant.
Nous nous étions rencontrés à une dégustation où le sommelier vantait avec persuasion les mérites nombreux des flûtes, du cristal et de la pureté du visuel des bulles s'envolant. Nous avions ri alors en choeur, en le taquinant sur les coupes, juste pour s'opposer à ses propos. Il avait insisté, renié l'usage de celles-ci pour bien boire le champagne. Nous avions surenchéri sans nous concerter sur la vie trop courte des bullles, sur le sacrifice génétiquement programmé des bulles, avec un final l'obligation de ne jamais laisser une coupe ou une flûte à moitié pleine. Notre malice gourmande avait scellé nos premiers échanges, nos discussions suivantes. Une sympathie prolongée lors d'autres dégustations, avec d'autres amis, dans des lieux divers, restaurants ou caves de bistrots, nous avons trinqué encore de nombreuses fois, avec du vin, avec différentes bières et souvent avec du champagne. Il était convenu de boire des cuvées plus rares, juste tous les deux. Comme ce soir.
Un extra-brut fier de l'être, un champagne Substance de Jacques Selosse, un pur chardonnay en vivacité, en explosivité, un feu d'artifice posé dans l'eau fraîche, un vin complexe. Ses papilles endormies se rappelaient les arômes, la sensation de croquer le liquide doré. Dans la grand seau argenté, une autre pépite, un millésime ancien, du 1985, une version plus vineuse, une cuvée René Lalou de Mumm, avec sa bouteille cotelée, son étiquette marron or en forme de blason. Introuvable, oubliée, unique pour amateurs avertis. Nous nous embrassions déjà.
Son blouson court en cuir reposait sur le canapé, nous étions en pleine dégustation entre coupes et grignotages, nos sourires en plus, la chaleur douce du printemps vers nous, la nuit enveloppant l'extérieur. Nous avons parlé de nous, de nos plaisirs épicuriens, de nos partages, des recettes de nos mères. Autant de souvenirs que de moments complices.
Les vagues revenaient vers moi, les instants de cette soirée, flux et reflux de bulles brillantes dans la bougie centrale de la table, des parfums si particuliers qui avaient marqué d'un silence notre discussion, ce bonheur intérieur. Mais aussi cette bulle de sensualité, ma main, la sienne, nos bras, nos lèvres, un tout devenu tourbillon. Je ne revoyais pas l'échouage de nos corps vers le salon, vers ce lit, les draps témoignaient d'une tempête, d'un souffle violent d'amour physique. Nous étions nus, je resssentais encore son corps près de moi, sa peau sucrée, son parfum, son intimité. Nous nous étions dégustés follement, tendrement, sans limites. Une pause avait vu venir la bouteille cotelée vers nous, tel un phare, avec non pas sa lumière mais un plop, un bouchon sauteur, d'autres bulles plus rares, quasiment dans le noir. Nous avons bu encore, soulignant les coupes, savourant les arômes arrondies par le temps, oubliant le possible déclin de ce vin, salivant de cette rencontre oenophile qui dévalait dans nos bouches, nous emplissaient d'émotions. De nouveaux repères gustatifs avec ce millésime, nos paroles pour les décrire, les coupes vides parmi nos vêtements sur le sol. Rien de plus, juste ses courbes, son corps, nos esprits embrumés par nos sentiments nouveaux.
Elle n'était plus là, près de moi. Mais je ne voulais pas sortir de cet océan, juste resté dans les profondeurs, dans ce souffle de vent léger venant de la fenêtre ouverte, entre deux eaux, entre rêves et bonheur naissant.
Nylonement