Mais toi, tu n'es plus là.
La nouvelle saison pointe son nez, avec des rayons de soleil perdus avec la précédente, sous la pluie d'avant, mais maintenant la douce chaleur réchauffe nos corps. Pas le tien. Car ce corps justement, il t'avait lâché depuis trop longtemps, comme en désaccord avec toi, une frontière entre ton esprit libre et ce corps devenu trop lourd, inconséquent à tes mouvements. Nous l'avions pourtant porté avec toi avant-pendant-après cette opération, avec les étapes, les doutes et puis les espoirs de te voir de nouveau marcher, bouger vers nous, nous accueillir pour t'écouter. Avec la peinture d'ailleurs, ton médicament, le seul qui fonctionnait encore, tu avais séduit tout le personnel soignant même le docteur avait fini par venir suivre tes cours d'aquarelles. Ce soleil que tu savais capturé derrière les nuages flous d'une goutte d'eau et d'aquarelle, tu lui donnais des couleurs , des teintes uniques, cele de ton regard sur le monde.
Mais léger n'était plus le mot pour accompagner des non-pas, car tout devenait lourd, pesant sur toi, au-delà des simples gestes, des moments de famille où tu ne voyais plus ton image, mais un handicap omniprésent. J'avais espéré un looping, un miracle d'un coup de baguette presque magique, une douceur nouvelle. J'avais compris ce que tu avais donné durant des années tout autour de toi, c'était ces sentiments d'amitié, fort et généreux, et ces même sentiments d'amour envers tes proches. Pourquoi ? parce ce que tu aimais et tu voulais tout autant recevoir des messages d'amour. Celui que ton père trop rustique pour le dire, pour l'avouer, n'avais su te donner. Celui de ta mère, femme-enfant contrainte dans un rôle de mère qu'elle ne comprit jamais et n'assuma qu'avec une frivolité négligente dans ses échanges d'amour. Alors toi, tu avais avancé, même fui vers lui, cet homme droit et volontaire, amoureux fou de toi, prenant l'avion avant même tes vingt-et-un ans pour l'entourer de tes bras en Algérie, pour croquer la vie à pleines dents sous le soleil local. Revenue en avion aussi, à deux, plutôt à trois, car j'étais là, l'enfant de la semoule fine roulée à la main, les épices dans le corps, l'amour au-dessus de toutes celles-ci pour décupler toutes les saveurs.
T'avons-nous donné assez d'Amour ?
Je ne résumerai pas ta vie ici, trop longue , trop trépidante et créative, car même ton métier, tu ne le faisais pas avec routine, mais avec une implication totale et un humanisme bien réel. Je garderai tes dessins, tes peintures, tes encres et surtout tes sanguines. Ton oeuvre au final, car chaque jour tu prenais le temps d'en perdre un peu, de rêver et de t'évader encore avec tes pinceaux, tes craies et tes bambous secs taillés pour crisser sur le papier.
Depuis l'années dernière j'avais partagé l'idée de peindre ensemble car tu ne pouvais plus aller assurer tes cours de dessins auprès de tes amis et élèves. Alors toi, en retour, après avoir vu mes coups de crayon, de nouveau libérés cet été sur des pages vierges, toi, voyant mes falaises et surtout mes vagues, tu avais dit "Passes à l'aquarelle maintenant". Quelques mots si forts mais si directs, comme un compliment non-dit, une validation d'une étape, une phrase de fierté sur ta transmission accomplie. Pourtant tu étais bavarde, toujours à commenter le monde, à rappeler la bêtise des uns, l'humanisme perdu dans notre société qui ne rêve plus. Alors oui, pour Noël, tu m'avais offert cette palette incroyable, si grande que j'ai encore du mal à l'accepter, toi qui te contentais de peu pour faire des miracles sur le papier.
Nous devions peindre ensemble, dépasser nos limites, prendre ce chemin pour te motiver à bouger encore, pour te dire "je t'aime" avec des feuilles, avec des coeurs cachés ici et là sous des gouttes d'eau et d'émotions. L'aquarelle ou les sanguines, les premiers pas pour figer symboliquement ce nouveau Printemps, l'huile ou les simples feutres pour rire encore ensemble, pour t'aimer toujours, pour te faire encre une bise ou deux avant de repartir.
Aujourd'hui le plus dur n'est pas de t'avoir perdu, maman, mais de savoir que je ne te retrouverai plus.
Pierre aka Gentleman W