Entre deux réunions, un coup d'oeil rapide sur mes sms, un message sur le répondeur en attente, étrange car ce sont mes parents, en dehors des horaires ont nous communiquons ensemble. Un doute, le message vocal encadré des imperturbables précaution de la voix synthétique qui annonce le nombre de message, l'heure et autres détails, j'écoute. Mauvaise nouvelle, lui, cet homme, ce proche, il glisse vers sa fin de vie. Choix de mots pour ne pas parler de la mort, avant qu'elle n'arrive comme inéluctable. Il est coincé dans cet espace impossible de soins, cet recoin qui le condamne sans se l'avouer, sans le dire, sans chercher à en finir avec la vie.
Sans chercher à oublier les douleurs omniprésentes.
L'espoir et ses paradoxes, car tous savent, ils ont entendu le diagnostic présenté par l'équipe de médecins, avec douceur, avec détails et avec ses répétitions à des questions qui veulent croire à une autre possible solution. Et pourtant les soins palliatifs sont déjà en cours, et il n'y a plus de recours. Rien à espérer mais avec cette féroce envie de croire le contraire.
Alors je quitte mes collègues, leur donnant les clefs de cette prochaine réunion, les leviers pour gagner ce dossier, pour ne rien lâcher si ce n'est que du temps pour aller plus loin. Des consignes, simples, claires, très précises pour mener le débat. Je pars pour réfléchir dans un endroit plus tranquille, chez moi, connectée à distance pour finir d'autres rapports, d'autres dossiers en cours. Sans le tourbillon et les parasites des échanges, juste seule entre bureau, salon et terrasse pour penser à lui.
Qui était-il pour moi ? Un homme relié à moi par les liens familiaux, lié aussi par des liens religieux, un engagement de naissance ou presque. Mais qu'avons-nous échangé durant les décennies ? Des repas, de nombreux repas gourmands, des barbecues pour les anniversaires, pour les départs en retraite des grands-parents, pour le sien aussi, pour les mariages, les baptêmes et quelques noëls aussi. Des instants au milieu de la foule, des politesses et des phrases toutes convenues sur l'âge du petit dernier, sur les études des uns et des autres, sur la nouvelle maison, sur le divorce du cousin. Rien de plus ou si peu quand je sers ma tasse de thé chaud entre mes mains, centrant ma mémoire sur lui.
Pourtant je garde aussi des sourires émus, de sa présence, de sa générosité positive, de son "ça va les gamins" chaud et réconfortant pour chaque génération. Je le vois parler de son père, de ses origines modestes, de sa vérité paysanne d'où il est sorti pour devenir un cadre brillant dans une entreprise internationale, voyageant ici et là. Lui dans son costume, avec ses mains larges. Soudain me reviennent des émotions, une forte envie de lui dire simplement "je t'aime, ne pars pas !".
Il est parti, sans souffrir, avec des douleurs endormies pour son dernier sprint lent. En nous disant "au revoir" et pas "adieu". Sans se retourner, pour ne pas nous décevoir, humble et poli comme toujours.
Adieu mon Oncle !
Adieu mon Parrain !
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