Un rayon de soleil juste derrière la porte de mon immeuble, un sourire de la météo pour m’indiquer mon chemin, je suis la chaleur jusqu’à ma voiture. Sur le trottoir les feuilles mortes, les premières rousseurs pour marquer cette belle saison d’automne, les parfums se renforcent avec la rosée encore présente.
Des feuilles de cerisiers, ovales et pointues, en tas au pied des arbres alignés, comme une séance de déshabillage imposé, je détourne le visage en rigolant. Des fleurs énormes sur les hortensias, des roses dans la haie de cette belle maison, une cascade si fragile dans le vent, si envoûtante avec les effluves, j’aime cet endroit. Plus loin des châtaigniers, des grosses feuilles, craquantes sous les pas, nombreuses, éparses, et là des cosses éclatées en tombant. Les épines vertes, rousses, les morceaux de ces coquilles vides, car les marrons sont dispersés, ici et là. Ils brillent dans le soleil. Une beauté naturelle, des teintes d’acajou, des rondeurs variées, aucun ne se ressemble. Je les regarde avec une certaine gourmandise. Non pour les manger, ce ne sont pas des châtaignes à griller, mais pour les bousculer un peu. Souvenirs d’une enfance en pantalon, en sweat de rugby, garçon manqué, je shootais dans les marrons. Ils décollaient dans les arbres, roulaient sur la rue, partaient toujours plus loin. Plus ils étaient ronds, plus ils dévalaient la pente, comme dans la quête d’un record de distance. Je les ramassais aussi pour les entasser à l’entrée du jardin de mes parents. Les plus beaux, les plus biscornus certains jours attiraient mon attention, les plus ronds les autres jours. Et puis le week-end je les relâchais, je les balançais dans la rue, dans les descentes du village, même là où aucun arbre n’embellissait les trottoirs. Etrange migration des marrons, plaisir de taper dedans, de les voir partir, rouler, encore, de résister aussi à mon envie de les voir disparaître dans le virage, ultime barrière à mon record d’enfant.
Mais là, j’ai un peu grandi, mes escarpins pointus, surtout avec les dix centimètres de talons ne sont plus adaptés. Et cette jupe crayon en tartan, qui enveloppe mes hanches, elle retient mon corps, évite les rotations de la taille. Loin du sportwear de garçon manqué, le chemisier et la veste courte cintrée, mais l’envie est trop forte. Irrépressible envie de taper dedans. Je piétine, je remonte discrètement ma jupe pour libérer mes cuisses, assez mais avec décence. La rue, la pente, ma voiture plus loin, quelques rares passants, et la gamine devenue quadra, la quadra toujours enfant, le recul à gauche pour mieux taper de mon pied droit. Le réflexe de repérer un beau marron bien rond, un coup net, il décolle, je jubile, il vole, tape un marronnier, un muret puis un enjoliveur, il dévale le trottoir, se faufile entre les feuilles, ne s’arrête pas, roule encore. Complice de mon envie, il continue pour se caler contre ma voiture.
Je marche en souriant au soleil, en pensant à cette belle journée, à cette réunion pleine de costumes gris, avec ce petit bonheur. D’ailleurs si je tapais un second coup. Il est là, il m’attend à côté de ma portière. Je l’ouvre, pour poser mes sacs. Et comme un plaisir interdit, un doigt dans le pot de confiture, comme un bonbon volé, je frappe dedans en éclatant de rires.
Nylonement