A une autre époque, cela aurait été une enveloppe avec un timbre, une date estampillée par la poste, un étrange courrier déposé dans la boîte, une quasi lettre anonyme. Mais aujourd’hui c’était un message privé, du moins la définition donnée par un réseau social quant au « privé » dans les règles actuelles de notre monde virtuel de communication. Un simple message envoyé par un profil embelli par une photo de chatons, quelques citations vaguement philosophiques, quelques beaux aphorismes et une photo de vacances oubliée depuis plus de cinq ans dans les limbes éloignés des clics, je venais de recevoir ce MP d’une personne non pas anonyme mais inconnue.
Et pourtant j’ai reçu les mots en direct dès les premières lignes. Avec un « vous » qui aurait donné du recul, un « tu » qui aurait confirmé une proximité amicale, mais plus simplement un « je » narratif qui souhaitait s’ouvrir à moi. J’ai lu, bien plus qu’une simple ligne avec la futilité actuelle de se satisfaire de peu de mots, de comprendre ou non le sens de ceux-ci et d’en oublier aussi vite la teneur. J’ai lu la deuxième ligne, la suivante, les nombreuses suivantes car il y avait plusieurs MP fort longs les uns derrières les autres. Tant de choses à dire méritaient une lecture et même une relecture.
Une personne, une femme plus exactement, une jeune femme du passé, revenue au présent après tant d’années, une source de souvenirs. Nous nous étions rencontrés il y a si longtemps, juste à cette période clef après le baccalauréat, le début des études, les premiers pas d’après, ailleurs. Elle était jeune étudiante, pleine de volonté et de grâce. Son chemin était encore hésitant non dans sa définition de son avenir mais dans cet instant fragile où l’on prépare les parents à une rupture, à ce lendemain loin d’eux, sans eux. Partir pour devenir grande, partir pour confirmer son métier, pour s’arracher à ce statut d’enfant, pour confirmer celui de jeune adulte. J’avais croisé son chemin un soir dans une boîte de nuit, un ennui commun nous avait rapproché du bar, avec nos cocktails pour premiers sujets de discussion. Une alchimie nocturne, elle avec ses amies en pleine drague et danses, moi avec mes copains de chambrée, des jeunes militaires insouciants. La nuit, la musique trop forte, l’alcool, des mots au milieu de tout cela pour oublier justement l’ambiance où nous ne semblions ni l’un, ni l’autre avoir choisi d’y venir volontairement. Un autre rendez-vous dans un café, du calme, le soleil, la rivière et le pont à côté, un peu plus de romantisme, et surtout son univers, ses yeux, son regard sous ses cheveux brun foncé, son sourire immense quand elle parlait d’elle, de ses copines, de son envie encore plus forte de partir d’ici, et tout en même temps de ces milles souvenirs qui l’attachait à cette ville de province. Nous avions flâné pour découvrir ce lieu, ces recoins de son enfance, nos premiers baisers aussi. Elle aurait aimé que je l’emporte avec moi dans ma valise, pour conquérir Paris. Nos courriers, nos lettres enflammées, la distance, une nuit dans un petit hôtel à mi-chemin de nos vies, nous nous sommes aimés furtivement.
Elle me rappelait sa version des faits, ressortant de l’ombre ce coup de cœur, son sourire et son visage, bien plus encore. Si loin dans nos vies, derrière sa vie de femme mariée, de mère de deux filles, de femme divorcée, mais toujours et définitivement psychologue spécialisée dans les souffrances liées au travail pour les adultes. Elle avait atteint son graal, étape par étape, réunissant les qualités pour parfaire sa vocation.
Aujourd’hui, au-delà des nouvelles, par le hasard de rencontres avec d’autres amis, elle avait rencontré une quadra moderne à la silhouette néo-rétro. Une allure qui lui plaisait aussi, un style qu’elle trouvait idéal pour cacher ses hanches sous des robes corolles, des plumetis de couleurs, des coupes qui valorisaient aussi sa poitrine. Des souvenirs dans les malles et les magazines de sa grand-mère, couturière de plus, dans les froufrous de son enfance, parfois pour elle, souvent pour ses poupées. En discutant avec cette nouvelle amie, elles avaient fini par parler chaussures, escarpins plus encore, hauts talons en général. Leurs gourmandises de mode et surtout un plaisir du quotidien. Une complicité récurrente, d’autres soirées à se revoir, elles avaient fini par chiner ensemble dans les brocantes, pour occuper les dimanches, sans les enfants maintenant étudiantes en province. Et là sous les robes, sous les jupes anciennes, les corsets, les guêpières, les dentelles et bien évidemment les bas.
Aujourd’hui le hasard l’avait amené sur le net, la sérendipité vers les rares blogs parlant de vintage, de femmes, de bas nylon à couture aussi. Et en lisant les mots, les phrases, elle avait revu des expressions, une passion, un impossible lien. Durant un voyage chez ses parents âgés, elle avait ressorti les lettres du passé, relu, ri de nos propos datant de plusieurs décennies déjà. Mais elle avait confirmé le style d’un seul homme. Non pas une recherche, mais une exploration dans les textes de ce blog, des facettes multiples de la féminité, cette obstination à voir les femmes dans des silhouettes glamour, fragiles et belles à la fois, modernes et toujours plus encerclées par le jugement des hommes. Pugnace, elle avait lu encore, hésitant à croire en un jeu d’envie de son esprit d’impossible vérité de sa mémoire.
Aujourd’hui elle osait m’écrire pour me dire que ce voile de nylon, que la première fois avec cette guêpière, que ce premier reflet dans un miroir d’une chambre étudiante, jamais elle n’avait oublié tout cela. De façon inné, des années plus tard, elle avait pris ce plaisir pour elle, puis pour le séduire lui son futur mari, pour son quotidien. Derrière son métier de discussions, de douleurs des autres, de solutions complexes pour forger des futurs, son grigri personnel était la mode mais plus encore, les dessous. Elle aimait se sentir infiniment femme, glamour et séduisante pour envelopper les courbes nouvelles de chaque décennie. Elle évoluait mais sans se cacher, bien au contraire pour se révéler, elle se glissait dans de la soie, de la dentelle, de la mousseline, pour se sentir bien. Un lâcher-prise aussi important pour son bien-être que des massages où son corps nu recevait le fluide libérateur des mains d’un inconnu, elle aimait se vêtir, se dévêtir en glissant ses bas sur ses jambes, en posant sa culotte sur ses hanches, en attachant ses jarretelles. Un bonheur devenu rituel à chaque période de soldes, dans les boutiques de lingerie, avant ou après celles de chaussures. Elle était devenue femme en trouvant son métier, en quittant sa ville d’enfance. Mais plus encore elle avait gardé ce sublime rituel de se plaire depuis le jour ancien où un jeune homme l’avait surprise en lui offrant sa première guêpière, lui avait attaché ses premiers bas, l’avait aimé sans limites dans cette volupté.
Longtemps elle avait hésité à l’écrire, jamais elle n’avait pris conscience de ce lien, de cet instant avec des voiles légers devenus seconde peau. Elle n’attendait pas de réponses. Son bonheur passait dorénavant par cette signature sensuelle.
Nylonement