Un an, un an déjà.
Une bonne et belle année que j'ai vécu quand même différemment. Pourtant je finissais la précédente avec un bon boulot, une santé sans failles, des rêves de trentenaires, j'avais geré avec sérénité durant les derniers mois le partage de la garde de mon fils avec mon ex. Et le tout dans un nouvel appartement, plein de charme, sous les toits, avec une petite terrasse, j'avais investi. Un prêt bien négocié, un remboursement facile, je pouvais encore craquer pour des futilités bien féminines, en passant devant une vitrine de chaussures ou pour un nouveau sac à main. Mes pêchés mignons !
Je faisais mes voeux perso et pro pour mes clients, j'ai alors allumé la radio pour la musique et quelques infos, puis la télé avec un oeil sur internet. Des cris, des balles, des journées dans la folie des intégristes de mauvais poil, la police, mais surtout des morts. Un dimanche avec des inconnus, à marcher, à chanter, à rester silencieux, à partager une unité de liberté, une unicité indivisible. Mis sans être totalement dépressive, un défaut hors de portée pour mon tempérament, j'ai senti le besoin de participer à ce changement, à cette date nouvelle dans notre calendrier commun des émotions. J'ai repris des auteurs, des philosophes ayant trouvé les mots pour traité des guerres passées, du XXe siècle ou plus anciens parfois, des lumières pour mieux comprendre la définition de la haine, ses sources, mais éventuellement aussi, ses remèdes. Cependant je n'arrivais pas à m'exprimer sur ce doute, bloqué là en moi, violemment installé chez moi, dans mon monde idéal de trentenaire heureuse.
J'ai ressenti alors le besoin de l'expliquer à mon fils, pour répondre à ses questions, aux miennes insconcientes mais ancrées dans certaines angoisses de mes nuits. Je lui ai parlé, j'en ai parlé avec mes collègues, mes amis.
Là posés dans un carton, un bloc, du papier, des crayons, des pastelles, des pinceaux, des anciens croquis, j'ai repris possession de mes mains pour libérer via l'expression artistique des émotions devenues personelles malgré moi. Des souvenirs d'adolescence, des anciens dessins, des créations, un peu de moi, mon style de l'époque, mes doutes de cette tranche de vie, des allers-retours entre le passé en ébullition, entre l'actualité explosive, le jeu sauvage des couleurs a facilité l'évacuaton de la chaleur, de cette lave instable. Des ratés, des boules de papiers, des coups de crayon incertains, des créations sans fin, et puis le premier dessin, je suis revenue en moi, communiquant dans un acte égoiste mes ressentis, ma frustration envers cette liberté bafouée, violée, traumatisée. J'ai hurlé en silence des mots, des forces étranges pour partager avec mon fils, avec moi-même, avec ma meilleure amie, ce coup de massue injuste envers les artistes, les Hommes, les victimes. Nous indirectement !
Des esquisses, des corps, de la mode, des nus également, une volonté de liberté, naturellement de ne trouver aucune contrainte, aucune limite, juste l'exploration sans fin, jusqu'à la fatigue du soir.
Aujourd'hui je pense à tous les morts, à leur innocence, à leurs traits d'humour et leurs provocations sans danger apparent, aux familles. Ma poche à soufflet prend du volume, je dessine toujours, chaque semaine. Juste pour moi, un peu pour eux.
Pour ne pas oublier la liberté, debout, toujours debout !
Nylonement
Gentleman W