Leurs regards, leurs interrogations, si nous avions été dans une bande dessinée, j'aurai pu voir apparaître des grands points d'interrogation au-dessus de leurs têtes. Surprise et surtout l'éternel jeu des cases voire des préjugés, j'ai changé depuis ma dernière visite dans la famille. Car comme toujours le cycle naturel des cérémonies nous avait éloigné, car il n'y avait plu de naissances dans la famille, même chez les cousines germaines, encore moins de baptêmes ou de communions, le temps réunissait les grands, les parents, les adultes uniquement pour les enterrements. Depuis deux ou trois ans les mariages avaient ravivé le carillon des fêtes, de la foule, des retrouvailles.
Mais je n'avais pas envie de me précipiter pour le revoir. Mes études en province, les longues révisions, la fatigue après les dîplomes, j'avais pu éviter leurs présences en filant en vacances avec des copines, loin de tout. Vacances, puis petits boulots d'été pour dépanner une amie qui créait sa petite entreprise, un job de marketing loin de mes objectifs profesionnels comme juriste. Je savourais le début de ma vie de jeune adulte, mon studio depuis un an déjà pour écourter mes déplacements vers les bancs de l'université, et aussi vers mon alternance, un cabinet à l'ambiance pro et de taille humaine. Je profitais de tout cela pleinement avec des sorties entre amis, des moments théâtre et danse. Des spectacles qui me libéraient comme les livres, un autre monde, des instants privilégiés, un peu de rêve. D'ailleurs ma vie souriait depuis la découverte d'une nouvelle, sur un blog, des mots justes, un atmosphère acidulé, parfois féminin, parfois féministe, surtout drôle. Une blogueuse, une vie proche de la mienne, des complexes, des doutes, des amours, des hauts et des bas, j'avais suivi les mots, pris des décisions pour moi. Des choix de vie, de nourriture, de silhouette, avec mon seul regard sur moi, mon miroir, le plaisir de changer, de refuser le regard des autres, d'être moi. D'assumer un peu, mais surtout de vivre comme je voulais être, cela voulait aussi dire d'ouvrir les yeux sur moi-même. Une rencontre, une psy, des vérités, des blessures mais surtout des fausses évidences, des carapaces faussement confortables, j'avais dû comprendre mon parcours, ma vie d'adolescente, mon corps. Elle m'avait fait dire ce que je refusais de m'avouer, elle m'avait emporté dans un tourbillon de reflets, d'images du passé, de maux dans lesquels je m'étais conforté. Et après avoir appuyée sur les douleurs, elle m'avait donné quelques clefs, surtout elle avait mis en avant mes forces, ma réalité, mon corps en pleine révolution, mon envie de féminité, mon envie d'être enfin moi, avec en premier lieu mon regard, avec une vision honnête.
Et naturellement j'avais changé, en prenant soin de mes jambes, mon premier atout fort, de mes fesses ensuite, de mon ventre en perdant des kilos, simplement comme amoureuse de mon nombril soudainement. Remodelant ce renoncement, arrêtant cette facilité à enfiler une carapace devenue inutile, choisissant mes courbes, acceptant d'être non pas une autre mais bien la véritable de moi-même, plus mince sans être non plus en creux, avec des formes, sans être en excès de rondeurs. Quel bonheur, car j'ai retrouvé même en faisant un peu de sport, une joie intérieure, vite reprise par mon entourage pro, pourtant des personnes qui ne m'apercevaient que si peu. Des compliments, des sourires, du bien-être tout simplement.
Alors là, aujourd'hui, je ne me suis pas privé de venir, pour le mariage de ma cousine préférée, pour la voir avec son mari dans l'église, dans sa robe blanche, sur les marches et sous le soleil de plomb d'été, pour faire la fête. La famille se dit bonjour, découvre que les garçons et les filles ont bien grandi depuis la dernière fois. Les souvenirs, les photos échangées par le net, les vieilles blagues, les repas, la nostalgie et le constat. Les petits cousins devenus aussi grands que des basketeurs, les cousines maintenant enceintes, la petite princesse choucoutée par tous dans le passé, modèle familial de barbie, présente aujourd'hui avec ces tatouages et sa petite amie, les murmures, les éclats de rires, la foule des grands jours, la famille au complet. Moi et ma robe rouge, courte pour dévoiler mes jambes bronzées perchées sur des escarpins sublimes. Leurs regards auxquels je ne donne que cette vérité. Rien de plus, juste des sourires vers la mariée.
Nylonement
Gentleman W
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