Il est parfois étrange d'essayer de comprendre le regard des autres.
L'autre soir, j'arrivais un peu en retard à un rendez-vous de copines, que nous essayons de faire mensuellement, surtout pour les anniversaires, pour les soldes, pour les papotages sur nos vies. J'étais sortie directement de mon boulot, j'avais sauté dans le tram, filé vers ce café sympa à l'autre bout de la ville. Et quand je suis enfin arrivée, certaines têtes se sont tournées vers moi, enlevant mon manteau, embrassant les plus proches, souriant aux autres, déposant mon gros sac dans un coin. Des commentaires aussitôt sur ce joli tailleur noir, cette jupe courte avec un beau collant transparent, mes bottines, mon petit pull écru, elles aimaient cette sobriété, la jupe droite qu'elles n'osent pas assez, la juste longueur de celle-ci.
Et puis j'ai commandé un verre, un plat de charcuterie corse, spécialité du lieu à partager entre nous. Mais j'ai surtout expliqué pourquoi j'étais ainsi car déjà on soupçonnait un loup dans ma bergerie, un mâle caché et non déclaré à toutes. Non j'étais bien célibataire, et cette tenue n'était autre que ma tenue de travail, celle imposée pour toutes les vendeuses. Surprise car je suis une collaboratrice en marketing dans ce groupe depuis deux ans, presque trois. Mais pour connaître mieux notre clientèle, la directrice a imposé quatre semaines par an sur différents points de ventes, pour croiser nos clientes, sentir les tendances, comprendre les améliorations envisageables ou en cours de test. Le regard a soudainement changé, les mots aussi.
Pas sur la tenue qu'elles aimaient pour son classicisme, le petite tailleur noir, bien coupé, bien cintré avec une finition quasi en sur-mesure pour chaque employé. Mais sur l'obligation de la tenue, du collant noir transparent, reçu en paquet, en début de mois pour les collègues, en version opaque l'hiver, en version chair satinée l'été. Une marque, des tailles, seules les chaussures sont libres mais ne doivent pas être baskets, compensées, trop vulgaires ou bling-bling. Un dress-code, et tant de remarques sur ce manque de liberté, sur cette obligation, sur cet entrave qui doit conditionner notre monde. Le sujet passait de bouche en bouche, de réflexion posée en débat anarchique avec des pointes de féminisme, de syndicalisme, de pure folie aussi.
Je sirotais mon verre, médusée par ces envolées négatives pour la plupart. Alors j'ai respiré et demandé combien d'entre elles avaient fait du mac do en job d'été, et en tenue réglementaire avec le filet pour les cheveux longs. Un silence, car la liste commençait avec les autres jobs de dépannage comme hôtesse d'accueil durant nos études, mais aussi avec la vraie vie, dont les infirmières, les pompiers, les policiers, les hôtesses de l'air, les cuisiniers, les personnels dans l'hôtellerie. Des dizaines de métiers où c'est un standard naturel, une accompagnement évident pour simplifier le boulot des uns, plombiers et électriciens, le smoking étant peu pratique, la salopette avec des poches multiples plus utiles, pour donner du style à d'autres et des repères aux clients dans une boutique.
Certes nous avons parlé des morphologies, mais mes jeunes collègues, petites, grandes, minces ou rondes, chacune avaient droit à ces emplois. Et puis nous avons papoté, d'autres choses, moins uniformes, les cadeaux de noel.
copyrights photos du net (tumblr et pinterest)
Nylonement
SIDACTION