Le printemps est passé sur le balcon. D'un souffle froid, durant la nuit, derrière les volets clos, sans rien dire, comme honteux, il a frigorifié mes jeunes plantations, ratatiné mes fleurs. Plus rien, sauf un ciel bleu de béatitude pour libérer le soleil, pour dire avec mépris, il fait beau. Oui mais cette amplitude déconnectée dans la saison, elle a rayé mon coin de verdure. Celui-là même que j'ai choyé depuis plusieurs mois, car je le vois depuis mon bureau improvisé dans le salon. Mon coin à moi, sur le balcon, là posé en hauteur par rapport à la ville bruyante, j'y savoure mon thé ou mon café dans une tasse bien chaude entre mes mains. Je me libère de ce carcan invisible qui pèse sur nous tous. Je respire presque libre.
Je vais replanter pour voir venir mes futures fleurs d'été, mes légumes à croquer sur le champ. Loin de moi les soucis si forts des agriculteurs, des vignerons et des arboriculteurs dont la saison semble anéantie, je relativise avec un sourire derrière mes lunettes. Aujourd'hui aucune préoccupation, juste du travail à la maison, des tableaux et des rapports à mettre en avant. Mais depuis peu j'ai décidée de boycotter la flemme qui m'avait réduite à un chemisier propre, une touche très légère de maquillage, un coup de brosse, et rien de plus. Je passais mes journées devant mon écran, avec un jogging improbable mais très confortable en-dessous du champ de caméra, parfois même simplement en collant opaque, sans chaussures, dans mes chaussettes épaisses, telle une ermite en perdition. Heureusement peu de réunion en vidéo, mais au final un laisser-aller total pour mon image, pour moi en premier lieu. Cette liberté s'opposant apparemment dans un premier temps à une contrainte du quotidien, je me suis laissé prendre au jeu d'en faire le minimum. Et si vous ajoutez la combinaison heureuse et malheureuse de ma rupture avec un ex déjà oublié juste avant la crise, je n'avais quasi plus de raison de m'habiller plus correctement.
Tut ceci étant une erreur, une belle erreur durement digérée en regardant par hasard la balance, en croisant par hasard une collègue dans la même situation en faisant des courses. Elle a grossi, elle a oublié qu'elle existait pour elle-même en premier lieu. Rapide discussion entre deux rayons du magasin bio, avec des sourires sur les réunions de bureau qui nous manquent au final, les échanges entre machine à café et open-space. Tout cela nous manque autant que les sorties. Alors était-ce une contrainte, une obligation si forte de prendre le temps de se maquiller, de choisir un jupe, une tenue, un chemisier de saison, une paire de chaussures ou de bottes confortables et élégantes pour courir vers les clients, vers le bureau et dans les transports.
Au final, je reprends un vrai plaisir à me regarder, sans narcissisme trop débordant, je vous rassure, mais ce petit trait d'eye-liner, je le retrouve, il fait partie de moi, de mon regard. Miroir difficile parfois, miroir objectif et subjectif, je m'observe, je me souris, je me trouve sereine à défaut de me voir belle. Les cheveux ont revu la coiffeuse, je me sens mieux, nettement plus féminine, juste pour moi et mon écran. Aujourd'hui même, sans obligation professionnelle, sans sortir de mon appartement, sans croiser l'homme de ma vie, je pris cette robe avec une fine ceinture si simple et élégante. Une paire de bas gris foncé et des escarpins à talons. Oui tout cela juste pour moi. Je me retrouve, car c'est ainsi que je suis femme. Une tasse de thé, j'allume l'ordinateur, je regarde ma terrasse un peu vide, mes pots gelés attendant le soleil, je croise les jambes, je me sens tout simplement bien.
Nylonement