Ouvrir cette fenêtre de cuisine, dans cette grande maison de famille, donnant directement sur le jardin, sur l'herbe verte, sur les iris en fleurs, sur les bosquets de toutes couleurs surplombées par des rose trémières en pleine pousse vers le ciel, s'arrêter avec une large tasse de thé pour savourer le temps, je respire l'air du petit matin.
Dans le four, deux poulets et un canard, les chambres sont pleines, nos enfants sont venus s'oxygéner durant ce long week-end, loin de leurs appartements et surtout de leurs boulots. Leurs enfants, nos petits enfants dorment après les longues courses dans le verger entre pommiers et cabanes en bois, envolées en vélo, cavalcades affolées avec autant de cris que de rires. Hier ils sont venus voir Mamy, ma belle compagne, pour croquer avec une envie mêlée d'appétit, la tarte normande, le sucre cassonnade dessus, le léger parfum de cannelle. Des estomacs à pattes, aussitôt repartis vers de belles aventures, d'autres courses vers la ferme au loin, vers les vaches et les chevaux. Je surveille les volailles qui vont rôtir doucement avec leur farce de champignons, de pommes et d'oignons, un parfum gourmand, un plaisir à partager ce midi en famille. Je prépare aussi la table du grand salon, double pour ne pas dire triple, toujours ouverte à nos enfants quand ils veulent souffler ou nous voir, à nos amis pour refaire le monde autour de bons plats traditionnels, sans oublier les bouteilles vieillis dans la cave voûtée. Du bonheur, des bonheurs simples.
Sur la table je dépose des bols, des tasses de toutes tailles pour le café et le thé, pour le lait chaud venant de la production locale, des verres pour le jus de pommes maison, pour le jus frais de pamplemousse ou d'oranges. Du beurre salé bien sûr, des confitures maison, de la mûre, de la gelée de pommes-coings, de la rhubarbe, de la reine-claude et quelques miels, je tourne mon regard vers les ruches postées au fond de notre jardin. Seul le pain et les brioches viennent du boulanger, un artisan local, qui fait déposer en vélo par ses gamins, notre commande du jour précédent. Trois énormes rondeurs imprégnant de l'odeur de beurre la salle, je souris en espérant ne rien oublier.
J'aime ce cocon, cet endroit, notre endroit, en dehors de la vie trépidante des citadins toujours pressés, avec d'autres repères de temps, sans autre urgence que le partage. Ici nous avons planté nos racines, duo d'éternels amoureux, nous fréquentons les brocantes, nous flânons, nous testaurons dans la grange située là-bas, nous rénovons avec notre idée du design néo-vintage. Confort dans toutes les chambres, chacune un style, toujours du blanc pour la lumière, un lit ferme et des fauteuils pour arrêter le temps, la famille profite, nous aussi. Dans un coin, notre coiun, nous avons une grande chambre avec un dressing qui attire les petites filles, tant leur mamy est élégante, tant les accessoires suscitent l'envie, surtout les chaussures. J'aime voir les essayages, les yeux malicieux des plus petites perchées sur des talons trops grands, les regards assurés des jeunes adultes négociant un prêt temporaire d'escarpins par leur grand-mère. D'ailleurs elle dort là-haut, je l'ai laissé savourer ce lent réveil, les parfums du jardin entrant par la fenêtre entr-ouverte, le vent frôlant les draps blancs, son corps alanguis dans la volupté que j'aime entourer de mes bras.