Depuis quelques jours, depuis quelques semaines, bientôt quelques mois, il avait perdu le goût des choses. Sa dernière dégustation de vins, entre amis, il n'avait savouré que les sourires des autres entre mets et verres vidés. Rien d'alarmant, car son plaisir était aussi dans celui affiché par les amis présents. Les jours étaient fades, parfois un peu plus, parfois simplement sans trop d'intérêt, mais il fallait bien s'occuper pour gagner un maigre salaire. Aucune opportunité d'évolution dans un monde cadré par des cases, un labyrinthe contre lequel il n'avait plus envie de se battre, dont il ne voulait même plus forcer les portes en créant des raccourcis nouveaux. Il consommait le temps sans appétit pour le vivre.
Heureusement il avait encore certains repères. Celui des mots en particulier. Celui des livres. Sur internet, là où les autres n'auraient apprécier que des articles courts, juste des titres, juste des vidéos de chatons ou d'humour, ou au mieux des likes sans aucun commentaires, il préférait lire des articles complets, des documents dénichés sur des sujets variés, par curiosité ou par gourmandise peut-être. Se cultiver, apprendre, comprendre tout simplement pour mieux avancer dans les limbes de la connaissance, cette nourriture avec tant de diversité de plats. Il avait pris place dans un fauteuil club, au cuir usé, avec un coussin complice, pas pour son dos, plutôt pour y poser sa tête quand la sieste l'appelait, parfois aussi pour y déposer son livre, chargé de mots, l'esprit digérant son menu du jour.
Là, il contemplait l'extérieur, une terrasse, des plantes dans des pots, des couleurs et des mouvements sous le vent léger, plus loin des arbres d'un jardin. A côté de lui, des étagères de livres, emplies dans tous les sens, entreposés pour être lus, relus, oubliés souvent. Il y avait aussi des piles dans les coins, avec ce hasard absolu. Elles se complétaient après chaque balade, picorant dans une boîte à livres une nouveauté parfois parue il y a quelques années, nouveauté pour son esprit gourmet, mais aussi les visites dans les Emmaüs ou chez un libraire. Ses pas aimait suivre les voyelles des rues, les consonnes des avenues, pour revenir chargé de nouveaux ouvrages, de beaux livres ou de vieux bouquins. Tout avait un sens, celui de sa curiosité, de son plaisir intérieur de pouvoir un jour les ouvrir et en déguster le contenu. Epices et cuisines d'auteur, styles et présentations de chefs ou d'anonymes, il aimait cet instant magique des premiers pas, de la première bouchée, des pages tournées dans son fauteuil, dans cette bulle convenue, face à l'éternité, le temps n'étant plus qu'un fil tendu vers un autre recoin, une autre pile de livres, une nouvelle découverte ou revisite.
Il y avait, parfois près de lui, d'autres repères, symboles de finesse, de volupté et d'envol vers une sensualité gorgée d'imaginaire. Quand les bas nylon, la robe légère passaient.
Simplement là, la fenêtre ouverte, il lisait dans sa bulle de douceur, pour enterrer ses douleurs.
Nylonement