FIn de semaine, les heures accumulées de travail pèsent sur mon esprit, mais je remonte cette avenue au gré des feux tricolores. Quelques voitures immobiles, un camion en pleine livraison, des bus arrêtés, des taxis pressés ou au contraire à la traîne, je me faufile, j'avance, je stoppe, je repars vers un autre point d'arrêt. Le soleil est là, encore un peu timide, mais il chauffe mon corps derrière le pare-brise, j'ouvre la vitre pour l'avoir en direct sur ma peau. Des bises de chaleur douce.
Une large avenue, des platanes, des trottoirs avec des touristes et des personnes en quête d'un métro, la prochaine bouche doit être là-bas. D'ailleurs sur ma gauche, un parc, des arbres, des arbustes au jaune intense, des fleurs, des enfants et leurs nounous, les cris, de la joie, le printemps s'installe sans y croire. J'avance, non, pas vraiment, j'attends que les deux flux se croisent, et surtout s'échappe de ce noeud à droite. Des camions blancs, un peu de monde, de loin, il me semble apercevoir de larges zones blanches. Je redémarre, des réflecteurs de cinéma, du monde, la raison de ce bouchon supplémentaire. Alors je renonce à toute colère, elle serait vaine, une fatigue inutile, je succombe à un instant de zénitude en comptant les gambettes libres, les jupes et les robes, parmi le flot de jeans.
Et là entre deux camions, une créature, des personnes autour d'elle lui parlent, elle avance à petits pas, sur les pavés avec ses ballerines vertes. Délicate dans ce brouhaha de ville démoniaque, a-t-elle un antidote contre cette vague continue de mouvements. La mannequin s'arrête, boit en écoutant une femme habillée tout en noir, avec des écouteurs, des bras qui parlent pour elle.
Ralenti involontaire d'un bouchon bien réel, je rentre dans cette bulle, un tournage, une publicité pour un grand couturier français, une voiture bleue, des années soixante, un jeune homme qui attend assis sur l'aille. Des caméras, des photographes, des assistants, des vigiles, des passants immobiles, des faux passants actifs qui répètent un arrière-plan neutre. Tout est en place pour un ultime passage. Moi, je regarde la pub, à défaut de pouvoir rouler en cette fin d'après-midi. J'oublies la route, je l'observe avec son détachement si naturel, cette pression sur de si belles épaules. Un top vert olive, une robe, non une longue jupe printanière, des fleurs, des couleurs, du soleil. Elle respire, le silence soudainement, elle repart vers le bolide bleu.
"Moteur !"
Je redémarre, elle dans mon rétroviseur.
Nylonement