Emotions, plantées dans la peau, imprégnées sans être tatouages, je pense à elle, partie plus loin sans moi. Aujourd'hui elle me manque un peu plus, sûrement ce ciel gris d'automne. Je ne vois pas les passants sur ce trottoir, je tente vainement de lire ces rapports pour aider mes clients dans leur développement commercial. Mon esprit est ailleurs, dans un espace différent, une dimension de souvenirs. Ma mère, cette femme avec laquelle nous avons tant partagé, mes frères et soeurs, durant nos années d'enfance, plus encore à mon adolescence où elle dirigeait la maison, gérait le budget serré, donnait des valeurs à nos errances de jeunes loups. Mais le soir, elle passait dans chacune de nos chambres, prenait le temps de nos écouter, savait trouver les failles et les doutes pour les ramener dans une bulle positive, elle était si présente.
Je me souviens de nos discussions, de mes premiers amours, de mes premières ruptures inconsolables, de mes doutes liés à ma sensibilité en devenir, elle ne donnait pas de conseils, elle usait de métaphores et de paraboles pour guider mes futurs choix, pour me laisser libre de mes pensées mais avec des guides, des chemins plus rassurants dans le brouillard de mes hormones bouillonnantes. Elle savait, elle ne voulait le dire quand ma vie changeait, quand ma vie trébuchait, quand ma vie s'envolait. Dans sa cuisine, dans sa salle où elle faisait le repassage, dans ses lieux bien à elle, elle était cette femme ambitieuse devenue femme au foyer, avec des ailes non pas coupées, juste repliées. Avec des livres, elle s'évadait, dans les romans à l'eau de rose, parfois elle apercevait un nouveau prince charmant, mon père était parti sans un mot, ailleurs avec une autre. Chaque mois il déposait des billets dans une enveloppe, il ne nous voyait plus, trop pris par son travail, nous disait-il. Elle rêvait, elle ouvrait une autre dimension, et tout en faisant du crochet devant la télé, elle pensait encore au dernier chapitre d'un livre qu'elle reprendrait tôt demain matin, levée pour préparer nos petits-déjeuners.
Je n'oublie rien de cela, mais aujourd'hui elle me manque un peu plus. Le téléphone ne répond plus depuis deux ans déjà. Mais ce n'est pas la distance, c'est juste le vide d'une vie éteinte. Je suis sans elle, et même les bras de mon compagnon ne suffiront pas. D'autres émotions d'amour certes, mais son coeur avait un écho si particulier en moi.
Nylonement