Premier givre d'hiver même si le calendrier indique Novembre donc l'automne, je ne voyais plus la pelouse extérieure mais une étendue blanche et froide. Au-delà de ma vision, la température égarait mes ressentis car le vent venait de s'engouffrer dans mon manteau encore ouvert. Un peu surprise dans mes habitudes avec cette nuit installée maintenant au-delà de mon départ, le noir estompé certes par les lampadaires allumés et leurs lumières jaunâtres sur les trottoirs en marge de ce jardin central dans la ville, je tentais de trouver de nouveaux repères. Avec en premier lieu, mes gants perdus dans mon grand sac à main, emmêlés dans les coins et recoins de cet espace au féminin, je m'étais arrêtée pour les enfiler au plus vite, pour oublier ce froid mordant. Enfin, mon écharpe remise autour de mon cou, sans aucun accès pour la brise, mon manteau zippé de bas en haut, je pouvais avancer vers l'arrêt de bus. Toujours mes yeux sur ce chaos givré de mille et uns pics de glace sur autant de pics d'herbes, et quelques boucliers plus larges formés par les feuilles mortes des érables voisins, ce spectacle fascinant de la nature rappelait l'entrée dans ce tunnel des saisons froides, jusqu'en mars prochain.
Une petite sonnerie, quelques passants comme moi, je montais pour trouver une place assise, dans la chaleur rassurante des transports en commun. Devais-je sortir mon livre ? Lui aussi prisonnier dans mon sac, sûrement tombé tout au fond, coincé sous un agenda et une de mes trousses à maquillage, je doutais de ce choix pour occuper mon temps durant les vingt prochaines stations, surtout avec aucune envie de retirer mes gants, de perdre cette protection contre le froid. Il semblait entrer partout, profiter de toutes les opportunités pour me geler, pour m'embrasser le moindre pli du cou, se faufiler sous le manteau. M'envelopper de sa sensation malsaine. Je ne voulais pas de lui en plus de ce manque de lumières.
Heureusement à cette heure, en ce samedi matin, peu de monde montait dans sur cette ligne, limitant les ouvertures de portes, les moments glacés avec les courants d'air. Rien à faire si ce n'est regarder le lever de soleil sur les allées de platanes des grandes avenues de la ville, entre les résidences et autres alignements de petites maisons de banlieue. Le rose et le violet soulignaient l'horizon, le orange marquait les contours vers le ciel partiellement bleu mais encore plongé dans le noir, un presque noir chargé de quelques étoiles encore lumineuses.
Je pensais déjà ma boutique, à ma librairie et ses livres sages. Mes étagères, mes entassements de livres d'occasion, mes tables avec les nouveautés, mon coin lecture pour les enfants, ce banc en bois patiné par tant de lectures de bandes dessinées, par tant de contes et d'histoires de princesses. Mon univers était là-bas après le troisième feu tricolore, la devanture bleue avec ce givre blanc sur la vitre, sur les deux arbustes, résistants, plantés dans de grands pots extérieurs, en grès émaillé bleu roi, je les distinguais déjà.
Mon premier geste irait vers le radiateur pour raviver la chaleur, puis vers la machine à thé et à café. Je pourrais alors poser mon manteau, mon écharpe et mon sac, ainsi que mes gants. Avec mes chaussures de cuir épais, mon collant en laine gris chiné, ma tunique de laine, mon univers de papiers et de mots, ce tout qui me rassurait et m'enveloppait de sérénité, le jour s'affirmerait. La petite clochette de la porte attendrait mon premier client, et le givre s'effacerait de lui-même pour revenir demain.
Nylonement