Etrange endroit, ce macadam que j'avais quitté hier soir sous la pluie, noir et brillant avant la bouche de métro, il est aujourd'hui d'un blanc immaculé. Cette avenue et ses trop nombreuses voitures n'existe plus. Juste des arbres, des branches blanches, un vent froid comme seul occupant des lieux.
A peine un mois que j'ai pris place au cinquième étage, dans cet open-space totalement impersonnel, où aucune place n'est assignée même quand vous y travaillez pendant plusieurs semaines. Une ambiance tout aussi froide que dehors malgré la chaleur. Car ici, il fait chaud, très chaud, une climatisation en rut en hiver. Paradoxal peut-être quand la majorité des collaborateurs travaillent sur les problématiques de développement durable, sur les processus d'économies de ressources et donc d'énergie. Une collègue, plus ancienne que moi, m'a précisé qu'elle vit en hémisphère sud, et face à mon interrogation, elle a développé. En hiver, elle vient en petite tunique légère sous sa doudoune, un collant fin et des bottes qu'elle change en ballerines. Et pour l'été c'est l'inverse, elle vient en robe à manches longues, avec un gilet non loin car la climatisation propose presque de conserver les cornets citron-framboise dans les bureaux.
Mais là ce matin, personne.
Seule ou presque dehors, seule sur le trottoir invisible, les bottes dans la neige bien épaisse, j'ai profité de ce Paris sans bruits, de ce moment à part avec une avenue sans extrémités, comme un tunnel cotonneux de chaque côté. Les magasins fermés, sans exception, des bicyclettes noyés dans le froid, sous la neige, juste un bistrot volontaire, un patron derrière sa vitre à observer les rares passants, proposant un café à un livreur de l'extrême dans sa fourgonnette.
Une station de ski mais rien n'indique les pistes, juste une bouche de métro qui fume avec ses entrailles béantes.
Seule à réchauffer le badge et son détecteur anéanti par la météo, et enfin les portes coulissantes qui me laissent passer. Pas un bruit. Le bâtiment est à moi. Je viens de gagner au Monopoly. Pas même un gardien ou une hôtesse. Des plantes vertes sous la lumière fade.
Ascenseurs au choix, montée dans les étages, vaste plateau vide, ah non, deux personnes dans un coin, en pleine discussion, en conférence téléphonique avec le Moyen-orient, je me faufile à l'opposé pour ne pas déranger, pour finir mes rapports d'audit de la semaine. Un coup d'oeil dehors, les toits de Paris sont encore dans les nuages, dans cette masse blanche immense. Quelques lumières et cette sensation étonnante de silence, de calme.
Je lis mes emails, mes collègues confirment tous une journée de travail à domicile pour éviter le temps perdu dans les potentiels transports perturbés, report des réunions à lundi prochain, téléphones branchés pour tous. Et si j'osais aller travailler dans la grande salle de réunion, seule devant cette table de bois roux, ses écrans incrustés, face à une large baie vitrée sur la ville.
Une belle opportunité pour un calme absolu.
Un trésor reposant pour se concentrer encore plus intensément sur les chiffres et les notes de mon rapport, je savoure ce fauteuil moelleux, profond. Je prends possession de l'espace dans un conférence fantôme. Un sentiment de pouvoir, pas vraiment, mais les dimensions de la pièce ouvre une porte à la mégalomanie. Mon studio doit faire à peine un dixième de la surface.
Entre deux paragraphes, je respire, je regarde l'extérieur, toujours uniforme et sans couleurs. Pas de bruits ici, ni derrière la lourde porte, seule, profondément seule.
Avec tant de flocons qui continuent à s'échouer sur la terrasse. Rien de plus.
Juste quelques rêves, quelques souvenirs. Une pause pour me lever, pour marcher dans la moquette épaisse vers la baie vitrée, pour être la princesse d'un jour.
Nylonement