Le vent froid d'un printemps oublié derrière la pluie, personne n'attendait devant cette brasserie, préférant s'engoufrer dans la chaleur plus réelle de cette décoration art nouveau, dans le bruissement des tables formées, entre les consignes des garçons vers le bar ou la cuisine. Elle ne faisait exception à cette règle, entrée mais perdue dans cette grande salle, cherchant du regard une amie ou un amant, je ne savais. J'avais relevé la tête par hasard, pourtant conquis par ce haddock délicieusement fumé, par une purée authentique, par cette sauce crémeuse apportant l'extase en bouche. Mon verre de Ladoix blanc, explosif pour contrer la force du poisson, les reflets dans les lampes, mon regard avait quité quelques instants mon plaisir épicurien, mais elle était là. Unique.
Une chevelure encore retenue, elle la libéra pour retrouver un peu d'assurance, pour justifier d'être debout parmi les tables, sans avoir encore aperçue la personne pour son dîner. Rousse flamboyante, plus encore par sa tenue, cette veste sortie d'un tableau contemporain du fauvisme, elle louvoyait vers le bar, elle commanda une flûte de champagne, évidence de classe. Son sac posé sur le zinc, le personnel, les garçons en tenue blanche avec tabliers noirs, Paris en mode gourmandise, elle hésitait encore. Deux yeux d'art suivait les regards venus vers elle, les plats défilaient, les verres trinquaient. Et mon vin blanc restait immobile, mon esprit voyeur prisonnier de cette énigme.
Parfum, une impression, une idée soudaine, un début d'obsession, quel était son parfum ? Une femme avec une telle élégance, avec des choix de mode si affirmés, devait porter une essence rare et fruitée, un poison fatale à toute personne souhaitant l'approcher. Je suis resté ainsi, bloqué dans le temps, dans l'animation naturelle de cette salle, oubliant mon plat, laissant uniquement le vin envahir mes papilles, la prunelle inerte.
Et puis il est entré, elle a souri, il est passé devant elle marquant une pause d'un baise-main léger, elle s'est avancé. Son manteau court sur les épaules, sa robe plissée bordeaux avec une allure folle, sa flûte à la main droite, son sac à sa gauche. Le bonheur esthétique se joue de peu, mais il est gourmet, comme un dessert.
Nylonement