Main dans la main, chacune nos sacs à main, dans la douce brise du printemps. Un modèle vintage pour l'une, un modèle plus fashion pour l'autre.
Talons aiguilles sous mes bottines, et ballerines pour elle, nous gambadons vers le théâtre, un privilège que nous nous accordons chaque mois, après un court débat sur le contenu, durant nos conversations téléphoniques. C'est un moment de complicité entre ma grand-mère et moi, jeune étudiante revenue à la capitale après de courtes études en province. On aime prendre ce temps pour aller voir des comédies, des acteurs ou des actrices connues mais aussi des textes nouveaux. Son esprit est toujours vif pour dénicher les perles rares, les petits coins de Paris avec des scènes toutes petites, une proximité quasi physique avec les comédiens. Parfois on ressort déçues, le plus souvent on a adoré, on en parle en revenant dans le taxi, dans la nuit installée. Un bonheur double car chacune y apporte son imaginaire et son vécu, ses références.
Ce soir, c'est un succès qui a mérité des prolongations, un homme seul qui se dédouble dans son jeu. Sur la scène, tout de noir vétu, il entre, il marche, il s'installe, il prend possession de ce théâtre et des deux cent spectateurs présents, silencieux. Un piano devant lui, quelques notes incisives, le début d'un récit. Nous voyageons dans le temps, dans l'espace sonore, dans le noir et dans la lumière, dans les errances troubles des derniers instants du siècle dernier, de l'autre côté du mur. Un pianiste, un génie, interprêté par un virtuose, deux histoires qui se croisent, deux récits, deux vies qui explosent dans les interprétations, dans la folie des notes, dans des montées et des descentes. Tout cela nous prend, ma grand-mère retient son souffle, je lui sers la main, nous ne faisons qu'un. Le public tout autant. Du silence entre deux notes, entre deux envolées, sur le chemin de la vie d'un hommage vivant et intelligent. Le "pianiste aux cinquante doigts" est là devant nous, dans notre ressenti si fort, une larme, des émotions, des instants où l'on voudrait applaudir, et crier des "bravo".
Intense, Pascal Amoyel nous a emporté, nous savions que les prolongations justifiaient un partition réussie, mais là c'est un ouragan de sensibilité, les larmes partent, les mains claquent, les applaudissements ne cessent pas pour les deux interprêtes, pardon pour cet homme qui donne de lui et qui rend un hommage saisissant à son maître. Son visage semble emporté par l'hommage, lui qui rejoue chaque soir ce spectacle depuis cinq mois. Il est dans la présence de ce vieil homme, il est dans la vibration commune, entre le réel et le ciel.
Nous sommes ressorties toutes enthousiastes, retournées par ce moment étonnant, une pépite iconoclaste. Dans la même émotion, malgré nos deux générations.
Merci Messieurs Amoyel et Cziffra !
Nylonement