Assise face à cette fenêtre, face à ce ciel cotonneux avec des nuances de gris dans les nuages blancs, face à cette petite terrasse où les plantes endormies prenaient en plein coeur les coups de vent, elle versait son thé chaud. Lovée dans cette robe pull de laine soyeuse, les jambes enveloppées de cette opaque bleu roi brillant, la chaleur collée à son corps, elle lisait. Son canapé aurait pu être ce nième livre géant, ouvert en étant posé à plat sur le sol et le mur, elle était bien calée dedans, entre des coussins de satin et de velours, des matières rassurantes et douces.
Autour d'elle, sa vie, un bilan de ses dernières années, quelques décennies déjà. Enfant et déjà adolescente, elle lisait, elle aimait prendre le temps de chercher un livre dans la bibliothèque municipale. Sa complicité avec la responsable lui permettait d'y accéder quasiment à toutes heures, en dehors des réelles ouvertures, lui donnant cette liberté supplémentaire de flâner dans les allées d'étagères combles de livres les plus divers. Une gourmandise pour ne dire une boulimie assumée car elle avait plus souvent de plaisirs à venir ici que de partir avec des copines pour s'amuser. Le temps avançant, elle ouvrit ses espaces pour aller dans la ville, dans celles d'à côté, à Paris même, toujours pour retrouver cette dimension verticale, pour pousser des portes de libraires. Son torticolis s'amusait de sa tête bloquée en vertical sur la droite ou quelque fois sur la gauche pour lire les titres des ouvrages dans les rayons. De longues minutes pour déchiffrer et s'approprier en quelques mots, le possible contenu de ce livre. Là s'ouvrait une dimension magique, pas forcément un imaginaire, car en connaissant l'univers de nombreux auteurs, elle s'essayait à comprendre cette clef pour d'éventuels chemins et autant de découvertes. Bien évidemment elle avait déjà quelques écrivains dans sa préférence, mais aucun favori.
Autour d'elle, des étagères, des piles, plusieurs hauteurs, plusieurs tas sur cette table basse, ici et là sur son bureau dans l'autre pièce, sur le piano, à côté aussi, des livres, encore des livres. De beaux catalogues d'exposition ou de photos, mais surtout des bouquins, anciens ou récents, une tonne de pages, de mots, de lettres, de voyelles avec un peu plus de consonnes. Son univers à flancs de mur, souvent sur le sol, car ces piles n'étaient pas un monstre envahissant, un avaleur d'espace, mais plutôt un cocon réconfortant, toujours plus sophistiqué dans son désordre, toujours sources de propositions. Car si certaines piles avaient vocation à être lu prochainement, d'autres naissaient d'un hasard ou le plus souvent d'une dégringolade nécessitant restructuration dans une nouvelle verticalité, pleine de hasard, de combinant tous les formats et tous les âges. Dans ce méli-mélo improbable, elle pourrait trouver un jour de doutes voire de blues amoureux, un livre acheté sur un coup de coeur, oublié aussi vite dans le voyage de retour, reprenant soudainement un sens pour être lu, là tout de suite sur le canapé avec un thé.
Seule, pas vraiment, avec ce bouquet de fleurs rouges, avec toutes ces histoires disponibles, à lire, lues et même relues, avec ces liens réels, avec cette possibilité d'un nouveau voyage, elle regardait la page suivante.
Pour les livres,
Pour ces soins pleins de douceur entrés par les yeux qui soignent mes douleurs, encensent mes envies, affolent mon esprit.
Pour toutes les lectrices, pour les lecteurs, pour les amoureux des mots, pour tous ces voyages.
Nylonement
Gentleman W