Etre une femme, et parfois sans aucune schizophrénie, vivre la vie de deux femmes.
Oui, je vois encore le regard souriant de cet homme croisé récemment à un mariage, nous parlions de tout, de rien, patientant sans nous connaître, en petits groupes, dans le jardin de la famille du marié. Des phrases banales, et puis soudain, un détail sur un arbuste, une anecdote, et mon voisin qui se trompe, volontairement ou non, sur la dénomination de cette plante. Je corrige, il sourit.
Sa curiosité revient vers moi, en cherchant à savoir si j'étais passionnée de jardins, ou finalement de botanique. Notre discussion part alors sur les pivoines, un amateur lui aussi. Les parfumées, les herbacées, les arbustives, les grandes familles, de chaque zone du monde, les croisements, il me pose des questions, et moi dans ma robe bleue nuit, impeccable, mes talons fins sur ce gazon fraîchement coupé, je lui décris les couleurs, les raretés des parcs français en particulier. Il est intrigué, mais la cérémonie commence.
Mariée si belle en robe blanche, je la regarde comme si elle était une princesse, j'adore les paillettes, les dentelles, les roses blanches dans sa coiffure, et cette légère voilette sur le visage. Départ éparpillé en voiture, mairie, église, soleil et pétales de rose avant les félicitations, les photos trop nombreuses, les hsytéries des uns, les oublis des autres, les deux belles-mères en quête de la perfection. Moi je regarde les robes, les sasc à main, les chapeaux, un foisonnement de beauté et de mode.
La variété de femmes, d'allures, certaines trop endimanchés, d'autres totalement perdues dans une tenue qui les boudinent, d'autres très altières, mais beaucoup simplement féminines soit en simplicité, soit en sophistication. Un beau festival de diversité, de couleurs, de longueurs, de coiffures, de perles et de bijoux. C'est l'été, le corps parle.
Les heures passent, la fin de journée, le vin d'honneur, le soir, le buffet, des tables dans un jardin, celui d'un manoir, une flûte de champagne qui vient vers moi et lui derrière. Il m'avoue être un peu perdu, ami de classe de la mariée, mais ne connaissant personne, à peine les parents, remariés depuis leur baccalauréat, les frères et soeurs, trop petits à l'époque. Je rigole car moi-aussi, je connais que peu ce petit monde, je suis le petit canard noir de la famille, cousine par mésalliance des familles recomposées du côté du marié. On rigole de ce détail, et j'explique pourquoi.
Alors que tout ce petit monde vit à la ville, en petite bourgeoisie de commerces locaux, de début de statut de notables, je suis celle qui vit à la campagne. Oui je suis garde forestier, un choix personnel après des études de chercheuses en botanique, en développement des écosystèmes ruraux, je voulais vivre dans la forêt, je le fais chaque jour. Il se recule et me regarde. Des pieds à la tête.
Plus exactement des talons de mes escarpins, bien hauts, en passant par mes jambes fines, ma robe bleue et sa fine ceinture, mon petit gilet sur les épaules, ma coiffure blonde en chignon. Il ne semble pas me croire, me charriant un peu, validant le bon choix du rouge à lèvres qui pourrait peut-être effrayer les renards ou les sangliers. Je me justifie, il me rassure, il a bien compris le sens de mes mots, la valeur de mes choix.
Nous nous installons à une des tables posées dans ce grand espace, des bougies et des lampes, des grands arbres, nous parlons poésie, fleurs, plantes et un peu de mon métier. Il s'amuse de ma tenue si élégante, si féminine, avec des mots très respectueux mais plus facilement relâchés avec les verres, les plats grapillés ensemble à ce buffet géant.
Les mariées passent, saluent et papotent avec chacun des invités, nous les embrassons, nous leurs souhaitons de belles années pleines de bonheur, de joie et d'enfants. J'ajoute aussi avec un beau jardin, et les rayons d'un soleil intérieur, eux, et extérieur. L'ambiance est chaleureuse.
Mon interlocuteur revient avec des fruits frais, des framboises et des fraises des bois, nous les mangeons en continuant nos balades entre les oiseaux, les lieux magnifiques de nos régions, les forêts en particulier. Sans aucun équilibre nous bondissons aussi dans la mode.
Il est surpris de me savoir en rangers et pantalon de toile durant mes journées, avant d'être rassuré de ma seconde vie en rentrant chez moi. J'adore autant les parfums des bruyères, le matin, dans la brume d'automne, entre les roux des feuilles mortes, les jaunes des autres arbustes, autant que j'aime les magazines féminins et mes soirées à commander des belles affaires chez ASOS ou NEW LOOK, ou pour commenter chez les blogueuses et modeuses. Il apprécie cette dualité, cette cendrillon cachée dans les bois.
Lyrisme, alcool, proximité, lui est un être d'internet, il quitte peu son écran, même si on le croit souvent dans une tour de verre, dans un quartier d'affaires alors qu'il travaille avec internet, d'un peu partout. Dans une maison, avec deux fenêtres donnant sur des arbres, un tilleul, des noisetiers, des chênes, la forêt lui aussi. Nous avons tous deux cette alchimie sans explication, avec la nature, par choix de vie, plus encore par essence de complicité avec le milieu ambiant. C'est un besoin.
Moi qui venait pour profiter de la mode qui se regroupe les jours de fête, je croise un homme, un esthète de la mode. Pivoines arbustives, je vous regarderai différemment dès demain, en recensant les jeunes pousses d'une parcelle en pleine éco-rénovation, coupée mais laissée en friches pour étudier les changements, les implantations naturelles, les dégradations et les espèces de plantes qui reprennent le dessus. Charmante rencontre, nous nous sommes quittés sur un sourire, il m'a dit avoir été surpris par les deux femmes qui fusionnaient en moi, charmés par leurs intelligences mutuelles, celle du jour et de la nuit, par leurs envies de croquer la vie, en gourmandise de nature, en plaisir gourmet de la mode.
Et avant de partir, de nous éloigner, il m'a demandé où se cachait la femme glamour le jour.
"Dans son rouge pour les lèvres, dans le vernis sous les gants."
Il a ri, puis m'a embrassé.
Nylonement