Je suis venue plus tôt car je ne voulais rien rater.
Plus qu'un spectacle, je suis venu avec un fauteuil, un cube de cuir, un peu usé, si confortable, pour m'installer ici. Un coin de trottoir, juste en face la porte d'entrée en verre transparent, juste en face de vous et des tas de vêtements.
Oui je suis venu suivre les migrations diurnes des soldes, avec toutes les espèces en mouvement, en attente. Là derrière la vitrine, dans les bacs ou sur les portants, la mode vous attend, elle sait sa dernière heure arrivée, et vous les Diane chasseresses, avide mais pleine d'envie, vous voulez entrer. Un magasin, des boutiques aux alentours, je peux suivre ce flux infini, grouillant de féminités, de manteaux épais, l'hiver est un peu là, et soudainement voir cette vague montante, qui va s'enfler sur la vitre, sur les portes. Certaines flirtent avec les tendances, se sont habillées pour être belle avant la course, pendant la ruée. Bonnets et jupes courtes, paradoxes d'une beauté éphémère.
Je suis un simple spectateur de cette routine saisonnière de la consommation, et je veux étudier les comportements, les passions, les doutes et les errances avant la caisse. Enfin le lieu va s'ouvrir, je lève ma tasse de thé, je vous regarde progresser en courant, à coup de bottes, de sacs à main, je note tout, tous vos regards, vos arrachages et vos engueulades. Chacune use de son pouvoir, de son essayage à la va-vite, sur place, dans le rayon, ici en soutien-gorge pour voir si ce petit pull a un V idéal sur votre poitrine, une autre regarde, patiente, fouine et attend de récupérer ce pull, ce dernier modèle en couleur moutarde. Collants filés pour essayer trop vite une paire de bottines, un dommage collatéral sans effusion, jupes relevées, encore des essayages inconvenants, indécents mais une telle passion, surtout une telle envie d'avoir cette robe, cette jupe, ce haut, ce top en voile ou ce simple pantalon slim. Tout y passe, tout devient tas et bazar, le souk est un euphémisme dans ce nouveau lieu de consommation. Tout est là, et tout doit disparaître.
Pose pour soi devant un miroir caché par les autres fashion-ogresses !
Pose pour une amie, une copine deux rayons plus loin !
Pose devant un i-machin pour le petit ami !
Pose pour les jalouses !
Je reprends du thé, sur mon trottoir, seul gentleman du lieu, face à toutes les femmes en quête de la merveille.
Une jolie quadra brune, pose une paire de beaux escarpins noirs vernis sur la caisse, plus de boîte, mais de fabuleux talons fins. Elle rayonne, peut-être son cadeau de Noël en retard, elle a eu son bonheur apparemment. Elle sera encore plus belle ce soir, pour le montrer à son compagnon, pour rendre jalouse les amies, et même sa fille.
Un duo de blonde, pose un tas de quinze, de vingt, de trente modèles, les ont elles essayé ? Les affaires sont les affaires, alors entre tuniques en soie, pull souple et jupe crayon, elle semblent heureuses. Pour elles ? Pour les copines ? Pour les collègues bloquées au boulot ?
Une jeune femme, avec juste un tailleur gris, très bien coupé, un chemisier, un petit plaisir. Un dessert dès le matin.
Une maman et sa fille, elles discutent, rigolent, jouent de cintres, devant l'une, devant l'autre, deux tailles de différences, mais un même goût de la mode. Elles adorent cette journée comme chaque année. Rondeurs, féminités variées, toujours les mêmes désirs.
La bergamote sourit en moi, son parfum est un calme face à cet ouragan de soldes.
Mais ce film, si vivant, reste un bonheur au masculin, je savoure ce jeu d'actrices, de nombreux seconds rôles, des plans, des tourbillons pour la caméra de mes yeux, la vie.
Demain, je remettrai mon fauteuil club dans le coin du salon, savez-vous pourquoi ?
Car j'invite mes amies, toujours après les soldes, et elles défilent dans une escalade d'élégance, de nouveautés, de robes, de mode, d'excentricité pas chère, de bonnes affaires, de chic. Elles viendront prendre le thé, se montrer, se rassurer. Et moi, je resterai comme un chat, dans mon coin, avec mes yeux esthètes.
NYLONEMENT
