Le soleil pointe enfin son nez, quelques rayons se reflètent sur la buée due au chaud-froid entre l'intérieur et la rue. Je suis toujours sur mon coin de banquette en skaï rouge, un lecteur buveur de café dévore un livre de Modiano. Les tables bougent toujours, des nouvelles clientes, des employés, des ouvriers qui passent juste au bar entre deux blagues et un expresso.
La vieille dame lit un peu les nouvelles de son journal mais dévore plus son entourage de son regard en recul sur la société actuelle, elle a vécu déjà tant de décennies, tant d'évolution et de changements. Sa retraite est entre ce bar et son salon, derrière sa fenêtre à voir passer le monde, et le soir, elle écrit dans de petits carnets. Oui en tendant l'oreille, le garçon lui a demandé si elle allait publier un nouveau livre et pleine de sagesse, elle lui répond pas avant son centenaire officiel.
Nous sommes donc deux à observer ce monde, deux êtres en quête de mouvement et d'attitudes, comme cette jeune femme affolée, accrochée à son téléphone large comme un magazine, elle écoute les messages de la nuit. Etrange balai entre sa commande, son sac à main grand comme une valise trop pleine, ses mains, son oreille collée à son épaule, comme perdue. Est-elle partie trop vite de chez elle, une mauvaise nuit ? je ne sais pas, je n'imagine pas, je la vois juste sans manteau avec à peine dix degrés dehors. Attend-elle quelqu'un ou un taxi ?
Une autre élégante entre, un gilet épais en laine, une robe de couleur, elle me tourne le dos, une ceinture, des jolies jambes. Elle aperçoit une amie dans un coin, elles s'embrassent chaleureusement. Une corbeille avec de la baguette est sur leur table, un pot de lait chaud. Chacune donne un paquet à l'autre, non, pas des dealers, des cadeaux, des sourires, le plaisir apparent de se retrouver, l'autre se tourne vers son sac, elle ressemble à la première. Des jumelles, des soeurs simplement, je rêve d'un souvenir fugace, je bois mon chocolat. Elles rient , très heureuses de se revoir. Un bonheur communiatif qui sort mon voisin lecteur de son livre, il regarde, sourit lui aussi, repart dans les rues sombres de son livre.
Une jeune rebelle passe au bar, elle demande si on embauche des extras pour les servies du midi ou du soir, elle cherche un emploi. Une jolie jeune femme, un look paumé ou branché suivant l'interprétation, je n'en ai pas, elle se voit offrir un café par le barman, la patronne arrive dans quelques minutes. Des chaussettes hautes sur ses jambes, des bottes, elle a du style.
Une autre jeune femme rentre, une autre féminité, un manteau long, elle le pose dévoilant une jupe plissée en dessous, un rose pâle printanier. Elle s'installe sur la banquette, sort des magazines de son large sac, regarde son portable, commande. Sa légèreté s'acompagne du chapeau qu'elle a déposé sur la table, de son haut marinière, elle est fraîche, pleine d'une belle énergie. Un simple café, une journée qui s'ouvre devant elle, dans un magasin, elle commence plus tard ou peut-être des études, elle lit les journaux.
La vieille dame la regarde, voit-elle le reflet d'un moment de sa propre vie.
Nylonement