Ce matin, je retire mes gants, ceux de mon sport de détente, celui où je me défoule de toute l'énergie de ma vie, de ma profession de nuit, de ce temps qui me manque aussi. Une heure, trois fois par semaine, parfois plus pendant les vacances ou les périodes où je sens monter en moi, cette force. Alors je boxe, dans sa version savate, dite boxe française, je donne des coups, je tape, je me plie, je lance mes jambes, je m'entraîne avec d'autres femmes, avec des hommes. c'est un sport complet, que peu de gens connaissent, que mon corps fluet de jeune trentenaire ne laisse soupçonner, certaines me verraient plutôt danseuse. Mais moi, je frappe.
Mais malgré toute cette puissance, je le fais pour sortir des émotions de moi, et surtout pour oublier de penser aussi au boulot, chef de salle dans un grand restaurant étoilé d'un hôtel de luxe, tout doit être parfait. je lutte chaque jour pour donner des consignes, pour suivre mon équipe mais surtout les désidératas des clients du luxe, exigeants et fous, passionants en tout détails, gourmands et gourmets. Je frappe.
Aujourd'hui pourtant, je suis en congé, pas pour moi, mais pour une amie, pour l'aider, pour la suivre, pour ne pas la lâcher, ma meilleure amie. La belle blonde avec la belle vie, le bon job, la carrière prometteuse, la silhouette sublime, un beau fiancé. Mais avant hier j'ai été obligé de répondre, plutôt de devancer avant qu'il ne soit trop tard. Avec quelques collègues du club, les gros bras, des tendres en général, des gueules un peu cassées surtout avec des nez qui ont avalé des coups, des boxeurs qui savent que ce sport a aussi des valeurs, celle d'un combat pour exhorter la peur, l'angoisse, la haine, la colère, dans un sport. On a frappé à la porte de chez elle.
Deux heures après, le beau fiancé avait pris une leçon de mots, de longues phrases, des faits, ses actes ré-expliqués autrement qu'avec des fleurs, des cadeaux. Nous, une équipe, moi je lui ai donné notre version, celle qu'elle a délivré factuellement sur la main courante de la police le soir même, celle de ces derniers mois, de ses coups reçus, de cette violence conjuguale inadmissible, inimaginable, inconcevable. Oui, on la foutu dehors, valises et quelques affaires prestement emportées dans sa voiture, quelques explications de plus sur le chemin vers le parking, dans l'appartement, dans sa tête. Elle nous l'avons protégé, enfin, de cet homme qui se croyait supérieur, qui ne contrôlait plus ses actes, ses gestes, ses coups. Lui qui l'avait frappé.
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Sans coups, mais en comprenant que le jeu avait basculé, que sa réputation ferait qu'il ne viendrait plus dans ce quartier, que nos mots l'habilleraient pour coller à son image de gendre idéal, nous avons mis les points sur les "i", à défaut de lui mettre nos poings sur sa petite gueule de jeune mâle impuissant. On lui a fait avoué, tout, sans chercher à comprendre la source de son désordre, on est pas des psychologues, on n'était surtout là pour palier à ce déséquilibre, et lui montrer que notre force était là aussi, mais que nos bras, nos coups, nos directs et nos baffes resteraient dans nos têtes. A-t-il compris ? nous ne saurons pas, mais nous ne le reverrons pas de sitôt, il a eu peur, vraiment peur, et rien que cela compensait l'idée de ce qu'elle avait enduré. Les coups qu'elle avait pris en silence.
Car cet insidieux, ce veul personnage, qui revenait avec des fleurs le lendemain, lui demandait pardon, ne voyait ni les coups physiques visibles sur le corps de mon amie, ni les blessures infernales dans son âme. Rien ne les effacerait. Aujourd'hui elle dormait, j'avais été avec elle chez son médecin, quelques médicaments, du repos, un psy à venir, et le chemin serait long pour admettre ces coups impossibles. Sa famille ne voyait rien, ne savait rien, les voisins, les copines, sauf moi. Par hasard car elle ne le disait pas, mais un essayage, entre deux cabines, deux robes, un bleu, un autre, un réflexe, des questions, ses larmes. J'ai attendu, ne sachant quoi faire, ne pouvant rien faire, sauf lui casser la gueule à mon tour à ce minet minable. Et finalement aux coups, nous n'avons pas répondu.
Aujourd'hui nous allons faire les boutiques, respirer ailleurs, voir du monde, un belle exposition, manger ensemble. Une amitié certes mais surtout un soutien. Celui contre la passivité, contre ce flou volontaire ou non face à cette situation qui tue plusieurs femmes chaque semaine en France, dans tous les couples, jeunes ou bien installés. Et pour la suite, ce sera des coups encore, ceux d'une justice en laquelle nous croyons, les coups de marteau d'un juge sur une sombre affaire si proche de nous.
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