Depuis des mois, des années, ils vivaient en parallèle, se croisaient en tendant les bras, non pour des intersections, mais juste des tangentes. Deux vies, deux générations, et peut-être trois, car quand une femme parle à sa fille, elle-même a une mère. Présente ou disparue, quand le statut de grand-mère est déjà là. Des histoires, peut-être des secrets, ils avaient tant parlé sans jamais vraiement tout se dire. Le chemin de leurs vies, leur donnait des moments forts, de nouvelles naissances, une autre génération, des liens forts, des liens appelés 'famille'.
Elles se respectaient, sa fille restait et resterait éternellement admirative de cette mère si forte, qui avait rompu avec énergie et détermination avec son milieu pour s'élever socialement, un cran plus haut, avec respect, mais avec une volonté rare. Professeur, comme elle aurait pu être directrice de recherche, ou mathématicienne de haut-niveau, elle excellait en pédagogie. Elle vibrait, elle avait tout réussi, dans son parcours diplômant. Puis une famille, des histoires de vies, des années dans un lycée difficile où elle était profondément respectée pour sa dureté et son sens juste dans ses choix. Plus encore, pour son humanité naturelle, cet accompagnement discret vers les élèves les plus en difficulté, une écoute d'exception. Maintenant elle était en retraite, elle passait parfois dans le centre commercial de la région, tous ses anciens élèves, devenus responsables de rayon, de boutiques, venait lui parler, des discussions plus longues que les courses. Le sourire et la force étaient encore là, sa fille regardait, fière d'elle encore, sa belle maman, sa référence, aimant charismatique.
Alors depuis quelques années elle dérivait, recherchant un moyen de lui parler elle aussi, pour un peu de reconnaissance, mais simplement pour un contact plus proche. Sans être loin, elles ne se voyaient pas, où au travers de ses enfants, des petits-enfants. Mais là, elle, sa force, sa fille, adulte maintenant, cette force elle la perdait chaque jour dans son travail. Une approche stellaire de la lumière, trop proche du soleil mais aspiré, en pleine combustion, en plein burn-out.
Médicaments, psy, et encore psy, des heures à parler, à se parler, à se taire tout autant, à dormir et essayer en vain de dormir. Elle sombrait, elle brûlait de ses larmes qu'elle cachait à ses enfants, à son compagnon, en passant sa journée assise, détruite, consumée. Médicaments, douleurs, doutes encore et encore psy, de mauvais gestes, un corps qui ne répond plus, des sensations étranges en elle, comme un double, et en plus avec les nombreux effets secondaires. Elle ne se voyait plus. Comment leur dire ? comment le dire à sa propre mère, malade depuis peu aussi ?
Elle avait cette façade froide, propre, impeccable aux yeux des amis, de son entourage.
Alors le temps avait passé, le doute revenait moins souvent, elle rêvait de ce voyage depuis deux ans. Un voyage vers les origines, un road movie sans caméra, entre elle et sa mère, toutes les deux vers le passé, vers ce village de l'aubrac, face à la montagne. Un ou deux jours, peut-être trois pour digérer ce vide, pour croiser les lignes parallèles, pour parler et puis se taire. Lui donner le sens de cette envie si profonde, si radicale, son principal objectif. Elle voulait lui parler de l'amour entre une fille et sa mère. Oui cette ligne de sentiments, ses battements de coeur que sa propre mère n'avait vu que partir. Oui d'ici partait les premiers pas, le chemin de la grand-mère absente, de cette femme éloignée de sa propre fille, devenu mère. Elle voulait lui parler d'amour, de ces instants et de tous les détails que l'on ne veut plus avoir pour soi, ou pire encore, que l'on regretterait de ne pas avoir dit avant le départ de l'autre. Elle avait tant à lui dire, par amour.
Une étape dans sa vie, avant de retourner vers ses enfants, pour les serrer fort dans ses bras. Près de son coeur.
Pour ne devenir une ombre blessée !
Entre une mère et une fille !
Entre un père et son fils !
Nylonement