Oui, je suis née ici, dans ce village, enfin la presque ville d'à-côté, et mes parents ont choisi ce petit bourg tranquille pour s'installer. Une maison en location quelques années, puis une vieille maison à retaper, ils ont vu comme moi, l'aînée, la famille grandir. Epuisés par les travaux, ils ont finalement été les premiers investisseurs d'un nouveau lotissement, construit dans un pré qui accueillait des vaches et des moutons, les fermes disparaissaient, la ville grandissait, les habitats et leurs occupants changeaient. Je prenais le chemin de l'école, chaque matin, trois puis cinq puis une douzaine de copains et copines pour aller à la maternelle. Dans cette cour, entre les tilleuls, nous étions dans les classes à plusieurs niveaux, un mélange de génération, qui donnaient le sourire et la force à ceux qui étaient entre deux âges, trop juste pour être bon, meilleur que les plus jeunes. La scolarité a progressé, j'ai grandi encore. Le chemin vers le primaire se faisait maintenant les garçons d'un côté, les filles de l'autre, les affinités, les histoires de foot ou de maquillage de Barbie de l'autre.
Nous passions devant la place de la Mairie, deux bordées de platanes, une église, trois magasins en plus d'un bar. Une épicerie générale somptueusement nommée "Le soleil de St Tropez" depuis que l'épicier avait fait du camping dans cette région durant ses vacances d'août, elle brillait surtout par son choix de fruits et légumes, mais aussi de nourriture en conserves, de salaisons et parfois de quincaillerie. Coincé entre celle-ci et le café, la coiffeuse souriait à ses clientes fidèles, je suis toujours allée chez elle. Une vieille fille, cousine de ma mère, je crois, mais très glamour des sixties, elle ne les avait jamais quitté dans ses tenues. On se moquait de son côté rétro, maintenant elle serait Vintage, si tendance, malgré elle.
Elle tournait les tête des hommes qui fumaient devant le café en reluquant la vitrine d'à-côté.
Puis il y avait le magasin de toutes les convoitises, la vitrine des délices. Dans ce décor de village, celui d'un train électrique en mode géant et réel, je traversais la rue sagement, pour voir la boulangerie. Les babas au rhum pour papa, les mille-feuilles pour papy, il adorait, les polonaises pour mamy, les St Honoré pour maman, et tout le reste pour nous. Je rêvais de faire un casse, une folie d'enfant, pour manger mon butin dans un coin secret, entre enfants, avec les mains pleines de chocolat, de crème au beurre, rigolant avec ma copine Isabelle, folle de crème chisbouste, si légère.
Je rêvais, en ressortant seulement avec un pain au chocolat, sans mon butin, d'un faux hold-up avec comme revolver, un croissant.
Aujourd'hui je suis la boulangère, je suis heureuse d'être dans mon village, car je l'aime tant. J'ai parmi mes clientes, des anciennes amies de classe. Celles de mon rêve, celles du chemin, elle viennent avec leurs enfants, elles rigolent de leurs envies de bonbons Haribo, elles regardent les religieuses au chocolat, notre spécialité. Elles commandent les pièces montées pour les fêtes de famille. Mon mari, le boulanger est aussi un fin pâtissier, il adore créé de belles "folies à croquer des yeux". Il sait que c'est réussi quand mes yeux brillent.
Isabelle vient parfois, elle est la directrice de l'école, elle adore son métier. Nous faisons notre footing ensemble, pour la ligne et pour le papotage qui se poursuit depuis des dizaines d'années, au gré de nos vies, de nos enfants, de nos féminités. Nous dissertons sur le plaisir d'être femme ici, loin de la ville, de la capitale, mais toujours avec nos étincelles personnelles de sensualité, pas pour un concours fashion, ou une élégance à la parisienne. Juste pour nous, comme nos bas, notre douceur complice, comme un cadeau pour soi, pour lui aussi.
Demains promis, on fera une boucle plus longue pour parler du spécial mode de ELLE, et vendredi prochain, une soirée entre copines pour une vente à domicile de lingerie. J'aime mon village, cette vie, cette douceur de vivre.
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