Que ce monde est ingrat !
Les médias parlent tant de notre société sans en donner le moindre levier positif, ils cultivent leurs messages anxiogènes, et quel avenir pour demain ?
Moi, adolescente, fille à mon papa chéri, je suis là en train de le voir s'écrouler. Hier encore, j'apercevais des douleurs, des coups de gueules non justifiés sauf par une fatigue certaine, par des nuits compliquées, d'ailleurs je ne cherchais pas à comprendre. Déjà quand mes hormones me chamboulent, quand je reste dans mon silence, dans ma chambre devenue grotte avec ma tablette et les connexions avec les copines, je suis en plein bazar entre grandir trop vite avec mon corps de femme, grandir avec l'envie d'être adulte pour ne plus être petite fille, mais pas trop vite pour être encore petite, cajolée et complice avec mes parents. Enfin ce qu'il en reste de leur couple, de cet idéal aussi fourbe que le père Noël, j'ai vu, j'ai entendu leurs engeulades, leurs mots blessants, vu leurs vies se dissocier.
Mais hier je suis rentrée plus tôt et mon père n'était plus le même. Lui qui malgré le manque de boulot, malgré ses efforts et ses doutes, reste là durant ses journées à croire puis à ne plus croire en rien, mais qui toujours garde son énergie pour nous donner des envies dynamiques, pour le lycée, pour les études, pour le sport, pour nos sorties. Je sais qu'il donne tout ce qu'il a pour nous, mes frères et soeurs, et moi.
Mais hier, je l'ai vu, il pleurait, il ne supportait plus le poids, ou peut-être n'avait-il pas eu le temps de se redresser avant notre retour. Un flagrant-délit de désespoir, de vide créé par une société injuste. Lui, je l'ai vu travailler bien plus que les 35H de rêve des idéalistes, le jour, la nuit, aidant les uns, préparant d'autres projets, donnant des conseils, ne renonçant pas devant les demandes à l'international. Il était là pour nous aussi, investi dans le sport, dans l'école, dans notre vie. Las de sa vie d'incompréhension avec notre mère, mais cela c'était son jardin secret, un désert, une tristesse sans fin.
Puis un jour, il s'est brûlé, effondré face aux demandes, face à un système qui exige plus, sans humanité, sans respect des liens et des règles pour toujours plus de richesses, lesquelles d'ailleurs. Il a quitté ce job pour prendre le risque d'être indépendant, en adéquation avec ses valeurs, plus humaines dans le business, mais là encore il a vu les barrières, les habitudes peu éthiques des entreprises, des médias. Pourtant ces gens-là donnent des leçons, s'honorent d'avoir réussi, mais au nom de quel chemin trouble. Il s'est brûlé la santé, une maladie que personne n'a vu, ni amis, ni relations, encore moins les proches. Reproches il en a entendu, il a serré les dents.
Mais aujorud'hui il pleure, mon père ne peut plus cacher le tourbillon de ses maux. Moins visibles qu'une plaie ouverte, moins connue qu'un cancer, mais d'autant plus destructeur que les doutes le dévorent vivant, le faisant remettre en cause chaque parcelle de sa vie, de son vécu, de ses expériences pour son boulot. Plus rien n'est un fondement sûr, doit-il payer le prix de n'être plus rien.
Dans une société si consommatrice et financière, où les banques passent pour des bienfaiteurs dans leurs messages publicitaires, l'humain n'est plus rien, une valeur ni matérielle, ni immatérielle.
Moi sa fille, j'ai tendu mon épaule, pour ne recevoir que ses larmes. La seule chose qui lui reste.
Et moi, dois-je croire en cette société ?
Nylonement