Hier, j'ai attendu près de sa chambre, sans oser rentrer, sans oser la déranger, de tout façon elle dormait. Alors près de la machine à café, dans la lumière blafarde d'un néon fade, j'ai écrit une lettre. Pour elle, pour ma fille.
Près de cinq ans ont passé, sans discussion aucune, sans voir mes petits-enfants, sans parler de famille, de vie, de nos vies. De vieilles histoires, des engueulades, des positions aussi fermes l'une que l'autre, en particulier sur mon ex-mari, et puis un jour des mots trop forts, ceux de la colère, ceux que l'on cherche non pour dire une vérité, mais pour crier des horreurs sur l'autre, pour le blesser. Trop de violence, de cruauté, et soudain un silence, une porte qui claque, définitivement sur un silence encore plus long.
Nos esprits, nos intelligences mais pas nos sagesses n'ont rien changé, tout a évolué vers une relation distante, vers un début d'oubli, pas vraiment. Chacune vivant dans sa coin, dans son univers de travail, de journée bien remplies par le sempiternel métro-boulot-dodo. J'ai vécu le vide de ne plus la voir, d'apercevoir son frère qui vît en province, de parler d'elle comme une chose éloignée. Et puis des rencontres, des amies, des hommes, un début de nouvelle vie, de l'amour peut-être, j'ai pris cela avec du recul, j'ai avalé ma bile, ma bêtise, mon acharnement à croire en mes idées, un coin de sagesse, non. Simplement j'ai pris la décision de vivre, pour moi, plus heureuse, plus apaisée. Sereine pour mes vingt prochaines années, peut-être trente.
Hier, j'étais près d'elle sans oser la voir, elle dormait. Son mari, par hasard croisé dans une rue marchande, m'a prévenu de son hospitalisation. Une palpation, une boule, une échographie, une biopsie, un scanner, des bilans, une décision difficile, une opération, une possible ablation. Quelques minutes violentes, là aussi, un retour vers elle, qui est une femme, qui tombe dans la maladie. J'ai pleuré, j'ai repensé à elle dans mes bras, enfant, puis ado et même jeune fille, ses chagrins, ses amours, ses rires. Tout cela est repassé si vite, c'était si proche.
Je lui ai demandé "où et quand" et même si elle avait besoin de moi. Et là, ce jeune homme si discret, avec la pudeur que l'on ne voit que chez les hommes, m'a avoué être un peu perdu lui aussi, et qu'elle avait parlé de moi. Un oui sans le dire, oui, je lui manquais. Peut-être pas un manque mais un vide dans ce lien naturel, un espace de sentiments si forts sans réponse. Je l'ai serré dans mes bras entre deux rayons fruits et légumes, pathétique aveu de ma stupide obsession.
Je ne l'avais oublié, elle était, pardon, elle est ma fille.
Hier je lui ai déposé une lettre, pour son réveil, pour lui dire tout mon amour, pour rayer les mentions inutiles du passé, pour être ensemble demain.
OCTOBRE ROSE
Luttons contre le cancer du sein
Aidons et soutenons nos proches, amies, collègues malades