Un pur bonheur que de faire ce détour vers chez ma mamie, un retour de vacances, une sonnette antique, un pavillon, un petit jardin, son chat qui somnole enroulé dans un pot de fleur, les fleurs, et puis sa petite voix qui vient ouvrir le portail. Des bisous, pleins de bisous car je l'adore, je l'avais un peu oublié après le stress des examens, les fêtes pour se libérer et enfin les vacances après quelques semaines de petits boulots. Mamie est toujours aussi drôle et fraîche.
Je la suis entre les arbustes, sur le gazon qui mène à sa terrasse à l'ombre d'une glycine japonaise, et surtout de ses jasmins parfumés. Un thé attend, elle m'offre des gâteaux comme depuis toujours, depuis ma plus petite enfance et toujours, vous savez, cette odeur si particulière comme si juste pour elle, les pâtissiers incluaient un instant de nostalgie, parfum de fleur d'oranger.
Elle est rayonnante, m'explique que les voisins et voisines ont pris soin d'elle à tour de rôle avec des petits cadeaux, des glaces quand il faisait chaud et puis sa meilleure amie est venue la voir. Le temps ne la touche plus, elle est vieille, ridée, mais si élégante. D'ailleurs dès qu'on parle de mode, elle se lève et file à l'intérieur, revient avec deux colis.
"J'ai suivi tes conseils, j'utilise mon ordinateur... oui avec toi pour skype quand le machin ... la caméra ne tourne pas en rond pour clignoter sans rien montrer, ou quand le chat ne la balance pas sous le bureau. J'ai fait les soldes chez topshop... non pas pour moi." Elle hurle de rire, un son fort presque énorme pour un si petit bout de femme. Nous avons ce sourire, ce rire en commun.
"Allez ouvres-les c'est pour toi."
Et moi, je suis émue, suspendue dans le moment planant, car devant moi, deux paires de ballerines, une orange avec des strass, une autre bleu laqué, je les avais vu, je lui avais montré. Elle avait noté dans un apparente perte de mémoire. Et un autre paquet, plus léger, sa malice revient, la même que moi, la même blondeur sur les photos, elle jeune, c'est moi jeune, enfin moi tout court.
L'été, le soleil, ce moment où juste les oiseaux piaillent mais s'effacent face à deux sourires, mes yeux brillent.
"Je ne les ai pas essayées (oui nous avons aussi la même pointure), car avec ma canne, les talons hauts, je doute de l'effet... surtout face au kiné. Mais j'ai craqué, totalement ... elles étaient trop bien ... comme tu dis."
Impressionante façon de rester jeune, de trouver les sandales, les escarpins, c'était sa folie, c'est la mienne, un trésor de plusieurs dizaines de paires vintage dans ses armoires, je passe parfois pour surprendre dans une soirée, elle me les prête seulement. Mais là encore son regard est si complice.
"Tu les aimes ?"
"Oh oui, oooui ooooui." Je suis heureuse, gênée, surprise, envoûtée par cette magie, des escarpins nude, avec une fine bride, un modèle tendance, aucunement vieillot, son coeur ne palpite pas dans le passé, elle a saisi mon style, elle sait l'enrichir de détails, d'accessoires, de petits étincelles et de cela, simplement, un coup d'oeil.
Je suis submergée par l'attention, je retiens mes larmes, je les enfile, je marche, elle me regarde, elle marche avec moi, deux femmes, deux générations, tant d'amour.
"Merci, grand merci. Tu est une mamie magique. Je ... ne sais quoi dire."
"Eh bien reprends un gâteau, et montres-moi tes photos de vacances, tu as ta tablette ?"
Toujours branchée, elle part checher ses lunettes, je soupire, elle me surprendra toujours. Même par la discrétion de ses sentiments. Mais c'est son secret, sa vie.
Intensément vous !
Nylonement