L'alcool a été son compagnon durant des mois, des années, après avoir été un amant qui ne devait duré que quelques semaines. Elle l'avait accepté, refusé, oublié et puis son corps avait changé le message, demandant un peu plus, ce petit verre, cette dose d'alcool pour avancer. ce petit plus et encore un peu plus, juste un doigt. Finalement beaucoup plus, pour finir par s'endormir dans sa voiture, devant chez elle ou devant le bar, elle ne savait plus.
Un jour elle avait poussé ma porte, moi la psychothérapeute, j'avais souri, j'avais compris en quelques minutes qui était cette femme chic, élégante et défaite intérieurement. Elle s'était allongée, non, juste assise, comme déjà liberée d'un poids si lourd, celui de choisir, de me téléphoner, de monter mes marches, d'être là.
Elle avait parlé assez vite, comme une libération, un acte engagé et refusé plusieurs fois, un oubli et quelques verres en plus, mais elle parlait maintenant, presque trop. Je lui avait dit de revenir, je l'avais gardé un peu plus car cette malade, cette femme me touchait. Un lien entre elle et moi était né, pour lui tendre la main, lui donner cette force de résister. Je savais depuis longtemps que les rechutes étaient juste au coin de la rue, un soir d'automne, quand la nuit tombe trop tôt, quand le patron vous a vexé sciemment d'une remarque sur votre travail, quand votre coeur appelle dans le vide. Je croyais à un avenir sain, nous en avons parlé pendant des semaines, puis des mois, toujours en pensant à cette fuite vers l'alcool, lui malfaisant, lui reposant dans son énivrement facile. Elle composait. Depuis le temps, elle avait essayé de garder cette image de jolie femme, de jeune bourgeoise qui suit la mode, sans problème et sans effusion, une féminité qui devait aux yeux des autres, voisins et collègues, être un brin de classe. Elle vacillait pourtant le soir, chez elle, seule, lui était parti. Sans chic elle vomissait, et puis maintenant elle se tenait au bord du précipice, celui du refus de soi, de la chute sans fin, ou d'un simple pas reculer vers les soins, vers les autres. Un bazar sans structure, elle au milieu.
Nous en avons parlé, échangé en cherchant les failles, les doutes, les blessures, les errances d'un passé, ses souvenirs que notre mémoire enfouie sans jamais lavéé le sol de son passage, sans jamais oubliée le mal. Elle s'est confié, je lui ai donné des moyens, des brindilles pour la souplesse, des branches plus sures pour faire une échelle vers le haut, un arbre qui grandirait avec sa volonté de dire non, d'avancer encore. Elle avait saisi les clefs, elle savourait les moments positifs, elle se préparait à l'abstinence totale, surtout au refus, son refus de la tentation et pire encore à ses doutes un autre soir, cette souffrance qui vous attire. Elle devait refuser une solution qui devenait le problème, un cercle brûlant ses entrailles, son âme et surtout sa vie.
Pourquoi elle, si belle, si appréciée, si normale, si femme, si élégante ?
Pourquoi ?
Je n'avais pas donné de réponses mais des ressources, quelques coups de fil en plus, une porte plus facilement ouverte, autant que celle du bar.
Patiente, non plus malade, femme et amie, elle évoluait doucement, elle reculait loin du précipice, et de nouveau elle pensait pouvoir s'aimer, aimer un autre. Elle souriait, elle rayonnait. Le chemin serait long, mais sa volonté, longtemps en vacances, venait de revenir l'habiter comme un cadeau de Noël, ou de nouvelle année, la vie était devant, uniquement devant.
Avec sobriété, juste vacillante avec cette nouvelle paire de hauts talons, un nouveau plaisir, une douce addiction.
Je la partageais avec elle.
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