Des escaliers, à dévaler car l'ascenseur est encore en panne, avec un parapluie à la main. Le printemps a choisi d'être grincheux, limite pleurnicheur, non convaincu de la chaleur qu'il distille en fonction des jours, froid le matin, tiède le midi, chaud le soir.
Je pousse la porte, un sac bleu, des gambettes à l'abri des trombes d'eau, elles attendent une accalmie, je leur propose mon parapluie, un sourire me répond, et les sandales sautillent avec moi jusqu'au métro le plus proche. Une voisine, j'imagine, je ne connais pas tout le monde et puis ce matin, je parle avec ses jambes uniquement. Quelques pas, nous contournons les trottoirs déformés et inondés, et nous descendons les marches vers le fond, vers le sec, les transports, la foule, d'autres jambes. Un aurevoir, un ticket, des bips de validation, des portillons, des couloirs, je les perds de vue.
Encore quelques mètres, le parapluie replié, dégoulinant du déluge précédent, je m'arrête sur ce quai un peu vide, le concept RTT fait son travail d'absence. Elles attendent là, dans un collent imprimé, un léopard ou un zèbre, à moins que cela ne soit un croisement, un hybride moderne, mais j'aime les originalités, les élégantes qui osent. Jolis et délicieux escarpins qui plairaient à ma compagne, en version bicolore et classique à la fois, je regarde, j'attends, je patiente dans la lumière et un quasi silence, presque surprenant. Elles lisent, ces jambes stagnent dans une immobilité de lecture, passionnées par un journal financier, derrière lequel se cachent un tailleur, une coiffure blonde au carré, un sac de marque. Le bruit se fait plus présent, le métro arrive.
Bousculade habituelle, pieds écrasés, chaussures contre talons fins, grosses godasses contre bottes, baskets mondialistes qui envahissent le sol, je rentre, je me cale. Je ne vois rien de cette rame, sauf les slingbacks noirs en face de moi, de dos précisément. Un collant fin, un caban bleu marine s'arrêtant à mi-cuisse, les escarpins, rien de plus, si, une tablette. Tout cela bouge au gré des montées et descentes souterraines, des virages à droite puis à gauche, des arrêts et des stations, de moins en moins de monde, mon regard collé au sol. Jolis talons, belle hauteur.
Jeu de lumières sur le noir, reflets irisés sur le collant, une féminité élégante et sobre. Une nouvelle station, deux portes qui s'ouvrent, les fines chevilles disparaissent.
Enfin la sortie, je monte les marches, je fais attention à mes pas, la pluie a rendu glissant les escalators, pièges modernes pour les fins talons, pour les semelles fines. Quelques pas, trois passages piétons, des impolis encore, des pressés avec. Là-bas ma destination, un digicode, un bonjour via l'interphone, je me glisse dans le petit ascenseur ancien, unique dans ses grincements et avec sa grille hors du temps. Je grimpe ainsi les étages, une porte grise, une salle d'attente. Cinq sièges, des magazines sur la table basse, deux escarpins oranges sublimes, un coup de coeur soudain. Un sac assorti, un silence naturel, celui des plantes en pot, celui de cette personne, en plein jeu sur son portable.
Je savoure malgré moi le vernisbleu des orteils, original mais pas opportun avec le coloris des fines brides oranges. Mon imagination vogue vers de la mode, vers d'autres tentatives de vernis, de nail art, quelques minutes encore.
La porte s'ouvre, mon nom, j'avance.
"Bonjour, je vois. Vous souffrez d'un torticolis.... en sortant vous pourrez revoir le ciel ... plus uniquement le sol."
Nylonement