J'avais mis ma petite robe noire, une nouvelle, un peu drapée sur les hanches, avec un collier moderne, entre fils et perles de couleurs, mes cheveux libres et coiffés. Une amie m'invitait dans sa nouvelle colocation, un superbe appartement avec terrasse sur les toits, une centaine de mètres carré partagé avec deux autres femmes. Une soirée pour mélanger les amis, de nouvelles rencontres m'avait-elle promis, mais avec un thème un peu chic "ladies and gentlemen". Le beau quartier appelait cette élégance.
En sortant du taxi, j'avais troqué mes ballerines pour des hauts talons, prévoyante mais aussi féminine, mon grand sac à main me permettrait d'être toujours en plein confort, le bouquet de fleurs dans l'autre main. Ascenseur à grille au centre d'une escalier large haussmannien, je me serrai avec un couple lui en costume gris, triste comme un financier voyant dégringolé la bourse, et elle en tailleur gris, aussi triste mis à part son sac de marque exhibé.
Dernier étage, de la musique, contrastant avec le silence monacal des précédents, ils sortent, mais heureusement ils ouvrent leur porte opposée à mon chemin, les grincheux ne me suivent pas. Sonnette, attente, sonnette, et enfin une ravissante blonde, un robe bleue, une embrassade joviale avec elle que je ne connais pas, une foule dans le salon ouvert. Je pose mon trench, dans la chambre de mon amie, retrouvée dans la cuisine, entre tapas et champagne, elle me libère aussi des fleurs, de mon sac, et m'entraîne.
Des lumières colorées sur les longs murs blancs, des moulures au plafond, des canapés larges, un lounge bar ou leur salon, j'hésite, bel espace en tout cas. Je pioche dans les bouchées apéritives, je la suis, vers la terrasse. Elle me présente à des personnes différentes, dont je ne retiens même pas les prénoms, artistes, consultants, copines, collègues, des gens avec d'autres gens. La nuit est là, la chaleur aussi, je retrouve d'une autre relation, déjà vue, je ne sais plus où.
On boit, on discute du lieu, de tout, de rien avec la musique pour les silences. On en arrive aux compliments pour mes talons, une question sur la marque, j'hésite entre la copie d'une marque connue, so chic, et une simple affaire faite entre deux pauses déjeuners, je ne sais plus, pour éviter de mentir, mais c'est vrai ils en jettent mes escarpins. Double brides, paillettes, et talons fins, belle cambrure, on parle des autres chaussures accessibles devant nous, dont une paire magnifiques, au bout de jambes interminables. On rigole de cette robe si courte, si moulante sur la caricaturale blonde à forte poitrine, elle semble attendre avec sa flûte, entre deux pots de fleurs, une bimbo sur un toit. Alcool aidant, on sympathise en cherchant d'autres belles créations, en repassant sur la blonde au passage pour persiffler encore un peu. On se rassure sur nos petites robes noires plus classiques, plus sobres, plus longues malgré tout, moins tapageuses. On disserte sur la féminité, la sensualité et le vulgaire, le regard des hommes aussi.
Et là surprise, j'ai failli renversé mon verre sur ma robe, un homme se dirige vers la blonde, toujours aussi caricaturale dans ses poses. Je le connais, même très bien. C'est mon ex. Lui, le type le plus coincé du monde, un brin geek, concerné par son boulot la semaine, et son boulot le week-end, que j'ai quitté en renonçant de le surprendre même en passant en nuisette, porte-jarretelles et bas noirs devant son clavier. Jamais le temps ! Lui, il est là avec cette pétasse moulé comme une barbie de trottoir, une pamela étouffé par ses nichons sur-gonflés. J'hallucine, la personne avec moi, me demande pourquoi mes yeux sont si ronds, si ce sont les bulles du champagne rosé. Non, juste ce con avec cette ***** blonde.
Je bois ma flûte, je ne réponds pas, j'attrape un seau de glace, je retire les deux bouteilles, je me dirige vers lui, lui tape sur l'épaule. "Toi" et "ici" seront les deux seuls mots qu'il aura dit. Je lui offre un défi en version express, de l'eau et de la glace, de quoi lui rafraîchir les idées, de calmer la chaleur des poumons de la robe minimaliste toute proche et aussi mouillée.
"Tu as gagné, maintenant fais un don."
Un froid dans la soirée, puis une immense rigolade, tout le monde applaudit. J'en profite pour filer, avec mes ballerines dans l'escalier, mon trench pour cacher l'eau qui m'a ruiné mes bas et une partie de ma robe. Quelle douche froide !
Je ne suis pas sure d'avoir à mémoriser l'adresse, pas sure de revenir ici, invitée ou non.
Nylonement