Sagement, je marche vers ce parc où les arbres m'attendent saison après saison. Au début ce fût l'endroit au bout de cette nouvelle rue, de ce nouveau morceau de vie, la retraite tant attendue. Nous étions heureux, un brin fatigués par le commerce que nous tenions à deux, mais enfin nous étions au repos. Pas totalement, des activités pour rester "jeunes" mais plus encore en contact avec nos voisins, nos amis.
Bridge certes par passion intellectuelle pour ce jeu, mais aussi du sport, de la marche, des voyages, avec les passages de nos enfants, de nos petits-enfants. Nous avions tant à faire dans cette maison, des amis encore, souvent, de passage pour quelques jours, quand ce n'était pas nous chez eux. De la lecture, des moments de musique, le piano reste un moment privilégié, je laisse couler mes doigts sur les touches, lui regarde, fasciné comme aux premiers jours, et puis parfois s'endort. Mais dit-il, c'est un rêve fabuleux, un chemin mélodieux de douceurs qui l'absorbe. Lui écrit.
Nous étions heureux, puis sa mémoire est partie, et le jour où il a compris, dans un moment de clairvoyance, il m'a dit qu'il partirait plus vite encore. Bientôt. Effrayé qu'il était de voir sa matière première, son imagination s'enfuir sans laisser de traces. Se savoir vidé le stupéfiait. Quelques semaines à peine, un diagnostic, une confirmation, une lettre, il était mort. Je ne peux que le pleurer, je ne peux l'oublier, mais ce matin en marchant ici, aidée de ma canne, depuis plus de deux décennies, je pense encore à lui. Profondément humain, idéaliste dans un univers dévoré par les financiers, par des lois sans bon sens, et des millions d'hommes et de femmes sans toit ni repas.
Je souris face à cette forêt, ces arbres roux, des feuilles vertes, des coups de vents qui déplacent tout cela du haut vers le bas, l'automne est là. Il me manque, toujours autant.
Nylonement