Sur une banquette de train de banlieue, en skaï orange devenue vintage avec le temps, sous les popotins de plusieurs générations, elle papotent.
L'une a conservé son bonnet de laine sur ses cheveux longs châtains, une laine prune, une écharpe, un snood peut-être, d'une couleur proche du bonnet mais avec des paillettes argentées, un pull vert de gris, une jupe en laine beige, un collant noir, des chausses en laine bordeaux qui sortent des bottes de cuir fauve, elle explique son week-end. Son sac repose sur son manteau, à côté d'elle.
Son amie, sa collègue peut-être, mais elles semblent proches, est vêtue d'une jupe droite en cuir, un collant opaque violet en harmonie avec son pull, sous un blouson court en cuir avec un col en fourrure. On ne peut oublier ses lèvres marquées d'un rose , presque fluo, volé à une starlette des années 80.
La discussion va bon train. Les soldes, les petites courses, la soirée de samedi, le réveil de dimanche, le sport avorté avec la météo, enfin les hommes, et quelques jalousies de passage, tout est décrypté avec grand soin. Elles rient.
Je lis, juste à côté d'elle, je tente de lire mon féminin du lundi, désolé mais le journal l'Equipe n'est pas du tout ma tasse de thé. Et soudain les articles rejoignent leurs mots, les écrits se mélangent à leur réalité, leurs propos sur l'éternel sujet des poils.
Mon article, du moins celui que je lis, explique avec force et détails que des études sont menées pour comprendre les raisons des évolutions, mais aussi pour justifier certaines publicités, certaines photos de notre société actuelle. Sociologues, historiens, chercheurs et autres philosophes argumentent des choix et des évolutions des cultures à travers le temps, les époques depuis plusieurs millénaires, avec des extrêmes bien évidemment.
Ici, sur cette banquette en skaï, se sont assis des beatniks, avec leurs longs cheveux, leurs barbes et leurs lunettes roses, ils étaient heureux, les femmes portaient des robes en coton, léger. Elles vivaient le flower power, avec des poils sous les aisselles, des poils entre les jambes, libres de toute contrainte, le soutien-gorge brûlé quelques années avant. Les mots décrivaient en trois pages, les approches et les thèses de tout poil.
Elles étaient parties sur une copine allemande, présente samedi soir, venue avec un collant semi-opaque noir ligné, mais surtout avec une floppée de poil en dessous. Le dégoût se lit dans leur échange, les habitudes, puis les méthodes sont évoquées, reprises, tant pour le laser que la cire. Chaque endroit a droit à son commentaire, du confortable à l'intime, tout est déballé. Mais elles finissent en parlant de contraintes indispensables.
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Un soyeux paradoxe aux pays des jambes féminines, voire féministes. Elles sonnent chaque argument, carillonent entre elles, justifiant par ceci ou cela. Je finis par croire qu'elles lisent mon article, le parallèle est trop fort.
Je tourne la page, vers les livres, les critiques, mon regard tombe de la page vers leurs jambes.
Avec un sourire intérieur, contraint mais indispensable.
Nylonement