La nuit fût ... ah je trouve pas les mots.
"Bonjour, comment ça va ?" la politesse du matin, la question à laquelle je n'ai pas envie de répondre, non pour les brusquer, non pour être obliger de leur dire ce que je vis, non pour rester loin d'eux, les chers collègues. Pas besoin de partager ces douleurs qui emplissent mon esprit, qui suivent chaque instant de mon existence, jour et nuit.
Et ce téléphone, pour les mots sereins, les plus rares, pour lire aussi les doutes voire les affabulations ou les délires de la malade. J'oscille entre tout cela, comme balloter dans des vagues en attendant la prochaine, plus douce et plus forte, plus frontale. Avec ce besoin naturel de compassion vers elle, car je ne suis pas la victime de ce tourbillon, loin des douleurs de la maladie, mais parfois aussi j'essaye d'exister, de me reposer, de faire une coupure, de croire à un répit possible, pour prendre aussi du recul. cela manque souvent entre deux aides, entre deux demandes, entre deux creux de son essoufflement. Mais je revois aussi ses abus, ses flottements sur la limite de l'exigence et du réel besoin.
Compassion ou complaisance, des nébuleuses qui se rapprochent et se croisent, se noient parfois dans une volonté d'aider encore, mais ne doivent pas faire oublier le passé, le plus récent. Elle qui n'a jamais rien donné aux autres, ni même de son temps pour s'occuper réellement de ses enfants. De son nombrilisme, permanent et occultant la réalité, les autres ont vécu en parallèle, ont grandi, se sont construit, ont demandé de l'aide ailleurs, à leur père. La vérité rattrape le temps, le présent aujourd'hui. Alors est-ce un caprice de plus, une envie réelle et salvatrice pour elle, mais là encore, pense-t-elle maintenant enfin aux autres. La maladie n'efface pas la vie, le vécu et les blessures sourdes.
Elle vit encore, elle ne pourra plus être soigner pour atteindre un début de rémission, elle est condamnée, elle s'est condamnée, par d'absurdes convictions, par des vérités qui n'en sont pas, par un refus d'écouter les autres, par cette nature à ne croire qu'elle-même, par cet égoïsme totalement aveugle. Elle va vers la mort, son corps n'est plus qu'une ombre, elle ne se reconnaît plus, mais a-t-elle existé un jour ? Son image, celle qui ne restera même pas dans les yeux mouillés de nos enfants, elle part sur ce chemin qu'elle a choisi, fatal et ombrageux. Mais si nous l'accompagnons, c'est aussi pour nous protéger de ces choix incompréhensibles, de sa vérité morte, de ses mensonges récurrents. Instants de paradoxe ! Son parapluie troué ne résistera pas à la pluie, car ce n'est pas en fonçant droit sous le déluge que celui-ci s'arrête. C'est simplement que le nuage passe, la vie continue.