Comment trouver les bons mots ? Coincé entre deux oreillers, dans un confort que je ne ressens même pas, comme absent de mon corps, je veille sur eux. La nuit enveloppe le monde extérieur, un peu de brume en bonus, les lampadaires semblent effacés dans des halos affadis. Les volets sont encore ouverts sur ce bout de journée, celui où je peux enfin être seul. Sans les coups de téléphone du travail, des autres, de tous. Je hais ce téléphone qui me donne des nouvelles, rarement bonnes, ce fil qui me relie à une réalité terrible que j'aimerai bêtement niée. Là, à cette heure, seul dans ma chambre, je somnole car la fatigue du corps est passée après cinq heures d'écroulement physique, rattrapée par un inconscient plus fort, plus virulent, plus présent dans la tempête. Il prend possession de moi, je ne peux le chasser, les yeux s'ouvrent pour casser les images et les pensées. Repousser le tourbillon. Mais le corps rappelle l'envie de dormir encore, les yeux clignotent, les paupières glissent, et les idées noires frappent lourdement au plexus. Je me réveille pour penser plus sainement, pour respirer doucement.
Retrouver des mots, préparer mes mots pour eux pour qu'ils soient justes. Ni trop, ni pas assez, un dosage pour un cocktail violent, une improvisation impossible pour cette échéance à venir. Comment leur dire ? Comment aller vers eux pour déclarer cette nouvelle ? Troublante situation de connaître réellement le futur, celui-là même qui généralement est un flou renouvelé chaque jour, avec de la vie.
Je rejoue cette partie indéfiniment, car je connais la fin, la fatalité de cette fin. Mais il y a déjà un long "avant", il y aura un "pendant" et surtout un très long "après". Interminable "avant" que paradoxalement nous souhaiterions prolongés encore, encore un peu, toujours un peu plus. Cela devient même égoïste d'espérer toujours un jour de gagner, un jour pour nous, pour elle.
Mais elle sait déjà que le mal l'emportera, fatalement. Les analyses ont rendues leur vérité froide. Rien de plus, des diagnostics, des chiffres et une réalité, pas vraiment de délais, pas de dates, mais un mot. Incurable.
Et puis elle a choisi, elle a soufflé la dernière bougie, cette ultime lueur dans un tunnel déjà très sombre. Plus d'envie, plus du tout l'envie de vivre. Alors nous sommes là. Et cette nuit, je dois construire ce chemin de mots pour avancer avec eux, nos enfants.
Demain, le jour se lèvera, doucement.
Aimez-vous !
Serrez-vous forts dans vos bras tant que la vie est là !