Ces derniers jours, j'avais repris ma place favorite de contemplateur en mode présentiel, en adoptant ce recoin de café, bien au chaud avec la sortie des cuisines, bien tranquille pour savourer un bon chocolat chaud en regardant les autres tables, les plus proches dedans comme les plus éloignés derrière la vitre qui me séparait de la terrasse.
Un petit ordinateur pour écrire, pour vous décrire, un livre pour les périodes plus calmes de passages, je laisserai mon regard vous suivre, vous voyant arriver comme revenant d'une grande bataille, conquérante dès huit heures du matin, à moins que ce ne fût juste un retard de réveil, ou un simple moyen d'essayer de faire oublier votre retard auprès de ceux qui vus attendait avec leurs cafés. Vous étiez là, avec votre présence, votre visage.
Elle était là, arrivée plutôt en louvoyant dans un long manteau beige impeccable, laissant juste apercevoir des hautes bottes droites en cuir couleur moutarde. Froide comme la température extérieure, elle s'était glissée sans gêner pour se mettre à mon opposé, dans un autre recoin permettant de superviser cette salle de café, son regard restait impassiblement vide d'émotions. Certains auraient dit énigmatique, je me contentais de reptilien à sang froid ayant perdu beaucoup d'espoir dans l'espèce humaine. Sans raison, juste par jeu personnel, je lui donnais ce personnage, son café n'était pas froid, ni même trop chaud, mais elle le dégustait en y posant à peine ses lèvres, ne souhaitant pas dévoiler sa langue fourchue. Son instinct retenait tous ses gestes, une économie qui commençait par son visage, toujours aussi figé dans une profondeur morbide. Elle attendait quelqu'un ou quelque chose, un déclic pour se jeter sur sa proie.
Comment peut-on se donner un style pareil, vivre au quotidien avec cet horizon perdu dans le regard ? Un tel désespoir doit avoir dévorer ses entrailles pour ne plus pouvoir exprimer un début de sourire, même pour gentil jeune serveur venu lui déposer son café, revenant lui proposer un verre d'eau ou un croissant. Rien, absolument rien n'émanait d'elle. Venimeuse ascendant vénéneuse, serpent ou plante verte géante croisée avec une humaine à longues jambes slaves, son mystère restera entier.
Un grosse berline noire s'est arrêtée devant le café, elle l'a vu aussitôt, elle est sortie en laissant un beau pourboire, et toujours sans émotion, sans aucune émotion, sans mouvement de muscles du visage, elle a disparu.
Heureusement ce matin là, il y avait d'autres personnes, une autre femme, un autre entrée avec plus de chaleur. Un long manteau toujours mais le froid d'hiver le justifie quand il ne nous laisse que quelques degrés positifs pour courir vers chez soi ou vers un bureau, un long manteau rouge souple sur une robe en laine courte avec une jolie paire de gambettes enveloppées dans un voile de nylon noir avec des motifs élégants, le tout posé dans des bottines de cuir noir. Un grand sac, une part importante de sa silhouette, de son allure quand elle est entré, fourvoyant dans l'immensité de l'accessoire pour sortir sur sa table, une boîte à maquillage, une brosse, un non deux téléphones, un cahier et des crayons de couleurs. Le serveur regardait, souriait de ce bazar ambulant, prenant note d'un thé avec des macarons, trouvant une chaise de plus pour le sac. Elle était enfin assise, volubile mais un peu perdue avec elle-même. Car derrière cet espace occupé, je ne voyais qu'une femme timide s'exorcisant de ne pas vivre assez librement du regard des autres. Elle venait d'en faire la preuve, car notre monde individualiste ne la jugeait pas, toutes et tous étaient sur leurs écrans. Elle serait rentrée nue sous son manteau, je ne suis pas sûr qu'il y aurait plus d'un regard, le mien. Il est beau le monde.
Là maintenant, installée, dispersée sur sa table, dans son univers, elle corrige ses paupières d'un cuivré délicat, elle se mire, sourit, cligne des yeux, l'un puis l'autre pour s'assurer de l'équilibre harmonieux du tout. Puis sagement elle brosses ses cheveux, d'une main elle les soulève, de l'autre elle crée la vague soyeuse. Ce geste infiniment féminin, elle le répète, je suis conquis, suis spectateur au milieu des écrans illuminés dictateurs du regard des autres. Elle se pomponne en vérifiant le tombant des cheveux, sur ses épaules, sur sa robe et sur son visage. Un souffle et ceux-ci recouvre la partie droite, donnant du mystère ou rappelant sa timidité inavouable, qui est-elle vraiment ? Elle sourit au miroir, d'un geste très précis, maîtrisé naturellement, elle marque ses lèvres d'un rose léger mais satiné. Elle boit maintenant son thé, écrit avec ses crayons de couleur dans son cahier, elle note, souligne, raye, gomme. Elle attend le soleil d'hiver, un peu trop discret aujourd'hui.
Nylonement