Depuis des mois, il travaillait sans comprendre le sens réel des informations qu'il recevait, sans prendre le temps de voir le monde avancer. D'ailleurs durant des semaines, les gens avaient disparu de la ville, des rues et les journées avançaient sans nuances, sans bruit de vie. Tout ce petit monde était ailleurs. Emprisonné peut-être ?
Lui avait le droit de sortir, de marcher vers sa voiture, d'aller au travail, de monter seul les marches ou de prendre un ascenseur tout aussi vide. Là il aidait de son mieux les personnes qui étaient là, des êtres perdus dans un vide émotionnel proche du néant. Sans repères, lui donnait encore un peu d'espoir, et puis après les premiers jours, les premières semaines, il avait trouvé les mots pour donner un peu de sens à tout cela.
Aujourd'hui, des mois après les vagues successives, il appréhendait différemment les nouvelles, il voyait ce monde s'écrouler lentement sans apprécier la hauteur de la chute. Lui les accompagnait toujours, inlassablement, sans voir sa propre fatigue, sans se plaindre, sans envie non plus. Il était fidèle au poste.
Paradoxalement, sans vie sociale durant des mois, il avait moins lu qu'avant, ne prenant le temps que pour essayer de respirer, pour finalement mieux s'écrouler de fatigue. Doucement, délicatement, il somnolait devant la télé, sans aucun échange, en total consommateur anéanti, insatisfait du contenu. Il s'endormait là, doucement et parfois aussi violemment. Absorbé par le poids des journées trop longues, par cette impossibilité de simplement sortir pour croiser le sourire de la boulangère, pour croquer du pain frais. La nuit le matin en partant, la nuit de nouveau le soir en rentrant du boulot, existait-il vraiment un jour, un coin de ciel bleu ?
Ce soir il rêvait, sans espoir, peut-être en reprenant ce roman posé là depuis des mois, quelques pages en arrière, une belle blonde dans son salon, elle attendait son amant. Les mots défilaient à nouveau, la mémoire jouaient avec ses neurones affolées. Le contexte reprenait forme, l'érotisme des chapitres précédents affluaient avec des images, des émotions et même des sensations. Le crissement de la jupe dévoilant les bas noirs, les yeux apercevant les coutures prolongeant les talons hauts, le chemisier de soie, tous ses sens retrouvaient le bonheur d'un fétichiste heureux. Le lecteur devenait le personnage, du moins il créait la confusion intellectuelle. Elle était là devant lui, en pleine lecture.
Qui était-elle ?
Son amour, cette femme pulpeuse, il l'avait idéalisée avec ses propres critères, abandonnant la blondeur pour une brune plus sensuelle, plus proche de ses souvenirs personnels. Loin du conte empli de perfection donné par l'auteur, il appréciait plus une femme vraie, imparfaite comme nous tous, du moins hors des standards et autres stéréotypes, il la voulait plus accessible. Femme de papier pourtant, mais ce soir il s'endormait avec cette image. Proche de lui, si loin encore.
Nylonement
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