Fourbu par la fatigue, mais heureux face à ce jardin remis à neuf, je contemplais ce lieu où la nature prenait pleinement son essor. Chaque arbuste, chaque haie, chaque pot savaient attendre les saisons pour s'endormir, pour sommeiller jusqu'au Printemps pour un renouveau doux puis virulent. Les feuilles nouvelles avec mille verts différents, avec la sève en plein bouillonnement, mais avant cela les branches qui poussaient, s'avançaient encore plus vers le ciel, s'aventuraient vers tous les espaces. J'avais stoppé les envahisseurs en taillant allègrement, parfois pris de remords les années précédentes, car c'était peut-être trop court, j'avais pu constater que l'avancée n'était que plus forte. Toujours reconquérir l'espace, alors nous avions trouvé un accord, je taillais ici, les plantes poussaient là, mais aussi dans mon dos un peu ici. Jardinier ou bûcheron, je modelais au gré des besoins des uns et des autres, parlant parfois à mes plantes, déplaçant vers la lumière un rhododendron, bichonnant mes pivoines, rabattant des jeunes pousses transformées en Huns invasifs.
Là en cette matinée, après plusieurs jours de coupes, de tontes, de plantations, je prévois les prochaines semaines, je nourris l'ensemble, mais surtout à cet instant je partage mon brunch sur cette terrasse, face à ce jardin simplement agréable. Mes yeux savourent ce bonheur, mon odorat s'amuse des parfums aussi, les iris, les dernières glycines, les premières pivoines, l'odeur de l'herbe coupée. Je respire à pleins poumons, je sature mes sens en fermant les yeux, je m'imprègne de tout cela.
Il ne me manque rien. Un livre peut-être. Un moment de repos, une sieste dans une chaise longue que je n'ai jamais utilisé, un instant immobile. Je prends le temps de vivre les secondes, les minutes, les heures s'il le faut. Sereinement. Calmement.
Une sculpture, une créature ici.
Je ferme les yeux, j'ouvre d'autres dimensions, je crée des vides en premier lieu, je repousse les limites, j'ouvre les frontières du possible, et un peu plus. Je me libère de tout, je ne suis plus qu'un regard sur l'ensemble panoramique qui m'entoure. Les angles de vue varient, changent et jouent d'effets miroir. Je me dédouble.
Dans ce vide de nature, d'herbes et de feuilles, je suis en apesanteur, elle avance. Légère, libres de tous ses mouvements, sans contraintes, elle glisse au gré des mes pensées. Une robe fluide, un peu de vent, des jambes sur des talons hauts, impossibles ici. Son sourire suit le soleil, sous sa capeline. Elle se pose, tourne, cherche la lumière, disparaît dans les ombres d'un tilleul trop grand, s'appuie contre cette haie, joue de ce labyrinthe de verdure. Rien n'empêche son cache-cache, sa dentelle blanche contraste avec les fleurs de couleurs, elle les hume, cueille quelques graminées, souffle les pissenlits. Là-bas elle s'arrête, revient vers moi, semble cacher ses gestes en m'offrant son dos nu, juste de mousseline fine ne cachant ses dessous. Jarretelles devinées, fascinantes sur ces courbes, j'avance ma main vers cette sculpture, elle glisse plus loin.
Je m'avance, je me réveille soudain. Rien, juste ce jardin et ces bougies allumées. Où est-elle passée ?
Nylonement