Effervescence d'un soit-disant lendemain, je me suis réveillé en avance pour voir ce jour, ce fameux jour d'après. Les oiseaux étaient toujours aussi bruyants dans le jardin, chassant les vers dans les recoins de chaque branche et autres charmilles, repartant vers leurs nids pour nourrir les nouveaux-nés piailleurs. Les fleurs, les iris étaient bien là, avec leurs couleurs délicates, le bleu du ciel strié de blanc pour celle-ci, le mauve et le jaune pour les autres, le blanc pur pour ce pied caché sous un palmier, les jaunes plus ensoleillées ce matin, toutes tranchaient sur le vert de la pelouse, sur le bonheur du Printemps. Lui est là depuis fin Mars, sans un seul arrêt, il voit tourner les pages du calendrier, dans un silence relatif.
Alors ce matin, ma forêt, inaccessible par une loi liberticide, se réveille comme chaque jour, libre de tous ses papillons, de sa beauté, de sa nature en pleine expansion, peut-être avec une respiration encore plus forte. Ce petit monde bouge, chante encore, vole et virevolte à volonté, sans restrictions. Effervescent, il relâche son air pur, naturellement.
Alors je vais de l'autre côté, vers la rue, pour les voir passer, ceux qui manquaient de liberté, ces prisonniers enfermés chez eux, mais rien. Du silence aussi, car ici les retraités seront sages, ils garderont leurs jardins comme ultimes barreaux, renonçant au pain frais car le congélateur est encore plein, la farine encore en stock pour en faire par eux-mêmes. Les autres voisins, ils travaillent chez eux, l'ordre social s'applique ici encore, dans toutes les maisons, l'internet fonctionne pleinement, le télétravail est une habitude démultipliée si elle n'était pas déjà une routine. Ils restent là sur la terrasse, face à la forêt, avec les mêmes oiseaux qu'ici. Personne ne bouge.
Et moi, je me repose, je fais une pause, car il n'y a eu d'avant, ni même de pendant, ni même d'après. J'ai continué à travailler, à suppléer à la demande en multipliant mon offre. Bref, j'ai travaillé tous les jours, un peu plus même, six jours sur sept parfois, ne comptant pas les heures, ni l'effort pour les rassurer, pour les accompagner. J'ai donné un sens différent à mes réponses, à mon empathie, essence de mon travail. J'ai été là, avec le masque, sans plaisir à respirer avec cette contrainte, mais je devais me protéger, les protéger, revenir sain chez moi, pour les protéger eux aussi.
Ma seule lassitude fût en écoutant les émissions spéciales en continu, les analyses sans fond et sans forme des niaiseux journalistes, heureusement il y avait de la musique classique pour adoucir ma fatigue. Alors oui, aujourd'hui je prends quelques jours de vacances, pour respirer enfin à pleins poumons cet air-là. Si loin de moi pendant près de deux mois. Je vais pouvoir vivre normalement, même si ce mot me semble abstrait et qu'il cache une blessure ouverte récemment, incisive et sans rémission possible. Alors je savourer le temps, parfois le haïr un peu, espérer beaucoup, vivre en regardant devant mais en jouant du bonheur des souvenirs. Les larmes ne doivent pas prendre le dessus, juste évacuer quelques regrets, souligner quelques trop fortes émotions. Ce matin, je vais prendre mes crayons, dessiner là face au jardin, comme une parenthèse dans un rêve, comme un moment en suspens. Seul. Loin d'elle maintenant.
Effervescence, vous dites ? De pivoines, de couleurs !
Nylonement