Prendre une grande respiration, lentement, le plus calmement possible, avaler cet air frais. La fenêtre était ouverte sur le balcon, les premières fleurs du Printemps donnaient des touches de couleur. J'inspirais doucement, j'expirais en décontractant mon ventre, le bas de mon ventre, je libérais mes tensions intérieures.
Une amie encore hier, m'avait dit soit tu cries fort dehors, mais avec la crise, tu risques de finir au commissariat, soit tu fais l'amour à en oublier ton corps, pour un total lâcher-prise. Je n'ai rien choisi, sauf le plaisir de prendre le temps pour y réfléchir. Tant de choses qui se bousculaient en moi, toutes les figures d'acrobaties, mais étrangement avec un effet planant et cela sans aucune drogue. Un état d'apesanteur involontaire, mais si agréable, mes doutes semblaient avoir tout emporté dans les profondeurs de la douleur, au-delà du réel, et moi je restais là, assommé, oublié de moi-même. Libéré d'un poids que je ne ressentais plus. Allait-il remonter un jour, plus tard, cette nuit avec les tourbillons de mon inconscient, demain matin au réveil dans cet entre-deux troublé des yeux collés, ou en pleine journée, comme avec une massue invisible mais si insidieuse que vous tombez à genoux. Mais je n'étais pas là, mon corps marchait, se lovait, attendait que le thé refroidisse. Plus de connections douloureuses, juste de l'impesanteur.
Je ne voulais plus revenir en arrière, je ne me croyais pas encore prêt pour avancer, je souhaitais juste un arrête sur image, une pause. Immobile, pour sortir de mon enveloppe corporelle, pour tourner autour de moi-même, juste quelques instants. Essayer de comprendre si mes pensées, non effaçables, étaient le fruit d'une réalité, d'une dimension parallèle, ou juste une illusion. Juste autre chose, mais tout était vrai.
Alors la seule porte ouverte vers un autre monde, ce fût les étagères, les dizaines de portes, de chemins vers une autre histoire, pour un voyage dans toutes ces histoires, ces romans ou ces biographies. A moins que ce ne fût l'ensemble des poésies posées là-haut. Tout cet univers de mots en liberté surveillée par leurs auteurs, autant de styles que d'époques, je n'avais plus qu'à me poser, d'abord debout pour choisir, prendre dans les piles en attente, lire, ouvrir, remettre, hésiter, lire, relire quelques lignes, se décider enfin, s'asseoir par terre, pousser un fauteuil, se caler enfin entre sieste et lecture.
Je ne l'oublierai pas, mon corps souffre, je refuse ses douleurs inutiles car l'amour est au-delà du temps.
Je vais apprendre à te parler autrement avec des créations, des dessins, des sculptures peu-être, des sanguines et même des aquarelles. Et puis des mots que tu ne liras jamais, mais qui seront bien pour toi.
Pierre