Nos deux mains, l'une dans l'autre, là sur ce trottoir parisien, au petit matin, libres de toutes contraintes, marchant vers un café, nous ne rêvons plus, mais nous avançons vers un duo de croissants chauds, un café et un chocolat chaud. Rien de plus simple, mais après cette crise, autant de bonheur simple, l'un avec l'autre, nos sourires en trait d'union entre nos deux regards, nous prenons le temps de savourer nos pas, d'inspirer, sans masque, l'air frais du Printemps, juste quelques degrés, les fleurs de cerisiers là-bas en bas de cet immeuble. Les premiers rayons de soleil lèchent l'espace, le haut des toits, les murs verticaux entrecoupés de balcons fleuris, dans l'axe de l'est, les façades sud, le sol, les escarpins qui s'amusent de cette nouvelle chaleur.
Rien d'autre qu'un peu d'insouciance, nous sommes heureux de redécouvrir Paris, avec cette facette romantique toujours présente. Le chant des oiseaux, loin des grandes avenues et des rues commerçantes, nous cheminons dans les petites rues parallèles, encore sourdes de pollution sonore. Les voitures sont encore à l'arrêt, les passants pas si nombreux.
Le temps s'écoule doucement. Presque au ralenti.
Oui, nous étions ainsi avant, pendant tout autant, et maintenant nous profitons pour faire traîner le temps. Dans ce monde où beaucoup succombe à l'addiction pernicieuse du téléphone et des applications soit-disant indispensables, ils doivent suivre le fil des actualités, des nouvelles, des informations, comme une drogue régulière non nourrissante qui apporte son flux d'angoisse souvent, son reflux de vide, des vagues de rien en croyant tout savoir sur tout. Cette belle "minutilité" (information minute maximum de mémorisation pour une réelle inutilité) qui encourage à vouloir apparemment tout savoir, toujours être au courant plutôt, se tenir au fait de l'information, des blagues des copains, des dernières vidéos drôles ou de quelques fake news pour gilets jaunes énervés, cette glissade sans fin, semblable à une aérophagie aigue pour une mémoire saturée de vide total. Alors cette précipitation que nous apporte-t-elle ? rien, encore plus en étant enfermés chez soi, nous avons profiter pour garder des horaires de vie normales, tout en nous offrant une possibilité naturelle pour laisser glisser nos repères. Nous avons pris le temps, cette expression surfaite dans notre monde pressé. Car si certains se sentent oppressés, nous n'étions que pressés l'un contre l'autre, pour une intimité réconfortante, amoureuse et charnelle. Et surtout nous avons pris le temps de partager nos repas, de les préparer, de les laisser mitonner, doucement sur le feu. Prendre le temps, voilà le premier gain de cette crise. Pour choisir les futures vacances, pour envisager de changer certains meubles, pour planter des fleurs et des futurs légumes, pour prendre le thé en terrasse en regardant la vie autour de nous. Lire encore plus, car nos piles de livres sont toujours présentes, mais là ce fût de la dégustation, en retirant celui-ci du dessous, pour le redécouvrir, pour le laisser pour un autre, pour en lire plusieurs, un pour le matin, un pour l'avant-sieste, l'autre pour le soir. Une autre dimension du temps, en se projetant non pas dans une organisation militaire, mais dans une vision slow-life. Les belles saveurs sont sur la durée. Le court-terme certes, mais surtout le moyen-terme et encore plus le long-terme. L'opposé frontal à la minutilité des uns, notre belle lenteur pour envisager, pour choisir, pour mesurer l'envie dans la projection sur le plus tard, et puis le chemin accompagné du désir toujours présent.
Nombreux bonheurs démultipliés par la durée de ce temps, de l'attente avant de croquer l'instant.
Nous sommes là assis, nos tasses devant nous, les sourires toujours sur nos visages, le sien plus proche du mien, nous nous embrassons. La vie continue. Que c'est bon de s'aimer, hier, aujourd'hui, demain !
Gentleman W