Je n'ai pas choisi de naître ce jour-là, dans cette famille-là, dans cet hôpital en banlieue de Paris. Bébé de l'euphorie de la Libération, j'ai été le fruit de l'amour d'une femme éternellement enfant et d'un homme ne pouvant exprimer ses émotions. Heureuse dans une époque souriante des trente glorieuses, j'ai fait mon chemin avec mes deux soeurs derrière moi, si différentes, si éloignées de mon caractère. Naturellement, j'ai pu choisir ma voie, celle d'à côté d'une vocation de peintre, de crayonneuse comme disait-alors mon professeur, de styliste au final. Dans un bureau, j'ai suivi une carrière en m'impliquant dans mon travail, en étant toujours présente, forte face aux hommes qui pensaient tout savoir, pour grimper dans les échelons. Dans un bal, j'ai emmené avec moi un jeune homme discret mais si beau, il m'a fait décollé loin d'ici quelques mois plus tard. Mariée et joyeuse dans cette vie d'aventure, d'insouciance et de bonheur au soleil j'ai pu reprendre l'art, partager avec pédagogie mes bases pour des plus jeunes. Ah que la vie était belle !
Aujourd'hui je dois prendre tout cela comme un dernier voyage dans mes souvenirs pour retrouver mes beaux moments. Le regard figé dans cette lumière néon, au plafond de ce bloc d'hôpital, je suis ailleurs, shootée par les médicaments. Hors de mon corps qui me lâche, je vacille sans tomber, mais j'ai plus l'impression de m'appartenir. Ils tournent autour de moi, injectent, discutent, se justifient, misent sur mon potentiel à être encore là demain.
Heureusement, on imaginaire est libre de toutes ses contraintes, je peux m'évader dans le ciel bleu, celui que je ne vois pas d'ici, que j'ai en moi, avec mes couleurs d'aquarelle. Sans limites, je pousse plus loin, les mots, surtout les images de ma volonté, de cette force intérieure qui bat encore. Avec lui, je n'ai pas encore eu le temps de peindre, de partager cette envie de tourner autour d'une modèle, de façonner des croquis, de les compléter, de leur donner vie avec des craies, des pinceaux ou de simples crayons, des tâches d'encre, quelques bambous plus sobrement. Ma boîte et mes papiers me manquent mais je peux créer sans contraintes autant d’œuvres que je les souhaite. Pensées, ébauchées et déjà finies, sans les coups de gommes ni les retouches, déjà accomplies, elles sont là face à mon regard, prêtes pour une exposition.
Je serai là pour la prochaine, à moins que ce ne soient uniquement mes dessins et mes toiles. Que d'amour pour ce dernier vol !
Nylonement
par Gentleman W
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