Après une longue nuit de sommeil, une glissade profonde dans le moelleux de mon oreiller, avec les mots encore présents de cette lecture d'hier soir, j'avais choisi de croquer ce beau dimanche. Le soleil piquait de sa chaleur de fin d'été derrière les persiennes. Je les ai ouverts doucement, largement sur ce jardin calme. L'herbe jaunie par les récentes semaines d'une saison trop sèche, mais heureusement les arbres avec leurs feuillages verts, les touches de couleur des fleurs en pot, les parfums s'offraient à moi. Une belle énergie extérieure croisant ma volonté d'être du jour. Sereine au réveil, emportée par les dernières semaines peut-être, par cette présence invisible, je pensais à lui, cet homme, cet inconnu encore. Mais enfin rencontré dans une réalité que j'avais eu tant de mal à accepter.
Le virtuel, les mots, les échanges, les messages, l'attente des réseaux sociaux, mes vacances, ses vacances, les autres demandes, les profils tentants face à son silence. Mes doutes sur ma capacité de trentenaire à être une autre femme, pas uniquement une célibataire bien seule. Les copains, les copines surtout, les épouses apparemment heureuses, les jeunes mères, les mères, les petites familles, tout cela me sautaient aux yeux depuis début juin. Les collègues d'abord en parlant des préparatifs, des maisons un peu plus grandes pour partager avec les autres copines, aussi en couple, aussi avec des jeunes enfants. Puis le flux et le reflux des mois de juillet d'août, mon refus de partir encore avec les amis. Un aveu de mon statut de célibataire, un aveu fort de ne plus avoir envie de garder parfois les mômes pendant que leurs parents faisaient la sieste, de les suivre dans les agendas entre courses,babillages de plage, obligations de goûters et autres siestes d'enfants. Cette foi, non, j'avais d'autres envies.
Lire, traîner au lit, me balader dans la montagne, à moins que cela ne soit dans l'arrière pays normand, à vélo entre les haies du bocage, flâner au marché. Grappiller des spécialités locales en discutant avec les producteurs locaux, les jeunes écolos inspirés, les vieux paysans passionnés, je voulais tout goûter, je voulais vivre cela. Uniquement cela.
Avec lui, celui qui avait su trouver des mots, les premiers, si difficiles au milieu des nombreux profils, ces mots qui m'ont donné envie ce soir-là de parler, pardon d'échanger des centaines de messages. Un début souriant et puis mes doutes sont revenus, ma capacité à ne plus croire en moi, encore moins en lui, en eux tous, ces hommes qui me croisent sans me voir. J'étais devenue une trentenaire invisible sauf quand j'étais la super copine. Drôle, gourmande, passionnée par tant de sujets, capables de parler de littérature ou de bons vins avec la même ivresse. Simplement souriante, toujours pétillante, comme les flûtes de champagne que chacun venait faire trinquer avec moi. Oui mais seule dans mon vtc au retour, seule les soirs de semaine, seule parfois les week-ends. Seule. J'avais aimé un temps cette liberté de temps et d'espace mais la solitude n'arrange que les ermites en quête de foi. Les autres s'ennuient, pire pleurent face à ce vide. Je ne voulais plus de cette prison, même dans un petit appartement cocon si agréablement rénové suivant mes goûts. Je voulais être surprise.
Et je l'ai été par cette homme, là derrière son clavier, derrière mes photos. Derrière moi ce soir-là, arrivant dans ce petit restaurant anodin, souriant et déposant un petit bouquet de pâquerettes, pour ne "pas trop en faire" pour une première fois, j'avais ri de ce geste si inattendu, si mignon. Une petite fleur qu'il savait mettre pour ponctuer ces messages sur le net. Clin d'oeil, et tant d'autres durant cette soirée bien réelle. Evidemment nous étions enfin arrivés là, dans une réalité cruelle, ce grand saut, non pas pour être définitivement amoureux, avec mariage et dragées. Juste le fait de franchir le pont d'un monde anonyme, menteur parfois, arrangeant souvent, froid même lovée sous ma couette, avec mon clavier pour lui répondre, vers le monde vrai, chaud comme sa main sur mon épaule.
Tant d'autres messages après cette soirée, de rires, de complicité. Un début sans effusion, mais de réelles émotions, alors depuis, nos vacances croisées, déjà organisées, nous avaient éloignés. J'attendais ses emails, ses sms tout simplement. Ce dimanche avait été si court pour m'occuper à écrire mon roman, pour déjeuner d'une salade dans le jardin, pour croquer du raisin directement sur la vigne. Ce dimanche avait été si long, pour me préparer en hésitant sur la robe, sur sa longueur, sur sa couleur, pour être belle. Non pour le voir, mais pour reprendre possession de mon corps, de ma féminité. Dessous et dentelles, robe d'été, je suis moi pour affronter cette fin d'été. Sur mon canapé, je lis une belle histoire d'amour. Uniquement cela.
Nylonement
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