Une journée comme une autre, un printemps chargé de doutes et de gouttes d'eau, en attendant le soleil franc, mais les premières fleurs roses apparaissaient sur les cerisiers. Les seuls arbres de cette place bétonnée, moderne dans sa sobriété selon l'architecte de ce nouveau quartier de bureau, triste durant tout l'hiver et fleuri durant quinze jours uniquement, mais ma fenêtre donnait directement sur ce bouquet merveilleux.
Ici, chaque semaine, je vérifie scrupuleusement les comptes des clients du cabinet d'expertise comptable. Un milieu sans effusion, où les règles s'appliquaient sans aucune fioritures sur les actifs et les passifs. Un endroit avec des murs gris clairs, des moquettes beiges, des bureaux avec des cartons de factures et autres documents, surtout de nombreux écrans, je me fonds dans ce moule uniforme. Mes collègues sont aussi rigoureux que moi, de tous âges et de tous sexes, chacun apporte son expérience sur des sujets spécifiques. Nous travaillons parfois sur des dossiers communs des plus grosses PME, mais le plus souvent nous sommes en solo sur nos comptes. Dans ces bureaux, nous nous croisons sans nous voir, car il y aussi les déplacements chez les clients.
Aujourd'hui comme chaque trimestre, il y a une grande réunion, pour échanger sur nos retours, afin de partager notre savoir-faire, avec régulièrement un point sur les nouveautés comptables. Après cet après-midi de travail, nous finissons en général par un cocktail dînatoire pour créer un semblant de liens humains dans cet océan de chiffres. Rien de formel, rien de réellement décontracté, chacun ayant ses clients privilégiés, donc des jalousies indirectes aussi, des petits secrets de conseils fiscaux en particulier, dotant que nous accompagnons parfois des entreprises concurrentes. Alors sans vraiment nous connaître, nous parlons de généralités, pas de banalités mais presque. Une fois, un collègue avait osé proposer un peu de musique, un soupçon de jazz, avec un peu de saxophone perso, histoire de détendre l'ambiance, cela avait créer deux clans, les irréductibles causant encore et toujours chiffres et législations, les plus détendus, enfin amusés qui avaient enfin parlé d'autres choses, de musiques et d'art.
Ce soir, une farandole de costumes gris, de tailleurs pantalons et quelques unes avec des jupes mais toujours entre noir et gris foncé, sans aucune consigne pourtant, nous avons un uniforme naturel. Lié à la fonction, lié à notre activité, lié à notre image, personne ne le sait vraiment, c'est un code inné. Alors si les hommes varient un peu avec leurs cravates, avec des motifs plus ou moins originaux, tristes le plus souvent. Les femmes jouent de leurs accessoires, du sac à main plus élégant en duo avec leurs sacoches noires d'ordinateurs, mais aussi de quelques bijoux, souvent des bracelets ou des bagues, peu de colliers car les décolletés doivent rester sages. Cependant la touche réelle d'originalité reste les escarpins, entre tendances de mode et belles allures, mais aussi signes de réussite profesionnelle avec les plus grandes marques. Toutes les hauteurs de talons, ce soir, pour moi ce sont mes classiques sept centimètres, parfaits pour les bureaux, pour ma cambrure, pour les séances debout des réunions de présentations, pour marcher sans souffrir.
Oui aussi, ce soir il y avait aussi un détail, une simple ligne verticale au dos de mes jambes. Faisant fi de possibles méprises en vue d'un début de harcèlement ou d'une incompréhension sur mon statut de créature féminine, donc avec milles précautions, trois de mes collègues, un homme, deux femmes ont osé me complimenter sur cette couture sur mes collants. Je les ai remercié. Ce soir en rentrant, en me déshabillant avant une douche salvatrice, j'ai laissé glisser mes bas quand les attaches de mes jarretelles les ont libérés.
Nylonement