Samedi matin, la fraîcheur de l'automne encore à peine réveillé, des pas dans les rues encore vides, l'odeur du café torréfié, le parfum des croissants chauds en passant près de la boulangerie, quelques regards sur les premiers préparatifs de Noël, une belle vitrine de lingerie, un sourire intérieur, la brocante s'installe elle aussi, dans les rues plus éloignées.
Des stands, des vendeurs, des vendeuses, des passionnés en tous genres, des flâneurs, des personnes perdues dans ce méli-mélo d'antiquités de valeurs surtout sentimentales, plus que financières. Les bonnes affaires, les réelles plus-values se sont faites au cul des camionnettes avec les pros, les moins souriants acheteurs. Ici on parle, on échange, on papote, on boit du café dans les thermos, on partage de la brioche. L'humanité serait-elle gourmande ?
Plusieurs rues, autant de raisons de se perdre pour trouver l'objet rare, pour répondre favorablement à la question "Avez-vous des bas nylon ? oui anciens ! pas des collants."
Des vêtements, de la lingerie, des chaussures, des sacs à main, des vieilles valises, un voyage dans le temps, entre les années 20 et aujourd'hui, un bazar sans référence le plus souvent, et puis parfois une décennie mise en avant, unique, concrète dans l'ensemble des objets présentés. Un arrêt, un regard, une quête, celle des bas nylon des années 40, très rares, des années 50 très nombreux, à l'apogée, des années 60 juste à l'arrivée monstrueuse du collant, des années 70 très rares, cousins du lycra.
Et puis ce duo, très actuel, deux copines derrière leurs tas de cartons, des vêtements, une lampe orange seventies, elles accrochent les robes sur une tringle pour mieux les proposer au public. L'une est habillée de son jean slim caché à la taille sous un bout de tunique en soie imprimé tigre blanc, le tout enveloppé dans une doudoune à boudins. Des hugs aux pieds pour ne pas avoir froid, ou pour être trendy, à défaut d'élégance. La seconde plus marquée, brindille aux cheveux blonds collés, comme l'épouvantail de paille, enrobée dans un long manteau en peau, les poils longs à l'intérieur pour ce côté chaleur animale, le même que portait les hippies. Dessous un jean, encore, boyfriend, remonté sur les chevilles nues, des courtes chaussettes dans des stan smith. Bien dans leur époque, copies conformes des magazines actuels, à quand la mode de la plume rose dans le cul !
La question "Dans vos carton, auriez-vous des bas nylon ?" apporte des interrogations, suscite la sortie de plusieurs nuisettes anciennes, mais pas de nylon. D'ailleurs c'est d'abord une demande extra-terrestre pour elle, "des bas anciens ? avec des gaines et les trucs pour accrocher, c'est çà ?". Explications sobres pour ne pas dir en version pour les nuls. Sourires. Echange de précisions, et final en forme de feu d'artifice par la brindille blonde "Ah oui des bas j'en mets pour les soirées sexy avec mon mari, quand je veux obtenir quelque chose. Vous les collectionnez ou vous les portez, madame ?" Une réponse affirmative, avec un contexte de mode, de glamour, de confort différent à l'opposé des collants. Et surtout une affirmation "Mon homme apprécie de me voir féminine, je me sens si bien avec au quotidien. C'est un peu de moi, un lien de plus entre nous. De la volupté surtout !"
Un peu plus de monde, le soleil d'automne est là, rassurant et chaud entre les branches dénudées des arbres, les autres stands, les bric-à-bracs en tous genres, des poupées anciennes ou simplement des souvenirs d'enfance propres à chacune, des bidons d'huiles moteur pour les passionnés de mécanique, même un duo de spécialistes des coffre-forts, peut-êre d'anciens cambrioleurs repentis. Un bout d'errance, parfois vers des stand de vêtements, la même question "je recherche des bas nylon ? avez vous des bas vintage ?", des réponses évasives, des yeux grands ouverts, car il paraît incongru de demander des bas vintage alors que certains stands proposent des nains de jardin, des collections de sabots, de livres sur la politique et tant d'autres raisons incroyables d'être collectionneurs.
Deux mamies, déjà croisées l'année précédente, fidèles derrière leur stand de lingerie ancienne, de robes de toutes époques. Discussion et partage, retrouvailles et point météo sur l'ambiance du jour, sur la densité des visiteurs dans cette petite rue. Sourires échangés, et la même question. "Je les ai oublié, nous avons dû choisir pour les quatres derniers cartons, nous les avons laissé à la maison. Tant de choses à prendre !" Discussion toujours sur les achats de l'année dernière, des belles boîtes, des pochettes anciennes au plastique craquelé, des bas d'une finesse infinie.
"Mais vous en portez ?"
"Oui, des bas nylon, je les collectionne, mais je les porte surtout."
"Des bas avec des gaines, avec des jarretelles ? vous avez des porte-jarretelles ?"
"Oui plutôt avec des serre-tailles ?"
"C'est quoi ?"
"Comme un porte-jarretelle mais plus enveloppant pour se poser sur les hanches. SOuvent avec six jarretelles pour un bon maintien, pour fixer la belle verticalité des coutures."
"Avec des bas coutures, c'est si beau. Pas de gainette, on en a plein !"
"Combinette ou guêpière, parfois mais le plus souvent serre-taille et jusqu'à 12 jarretelles."
"Ma mère, très âgée, en porte encore aujourd'hui, à plus de 90 ans, je sais pas où elle trouve des bas. Mais elle se débrouille avec ses jarretelles. D'ailleurs elle ne veut que cela."
La discussion a continué, emportant les regards intérieurs vers les souvenirs, vers la féminité, la mode, les comparatifs pour et contre envers les collants, mais les arguments pour les bas. Convaincues mais pas porteuses pour autant, peut-être un futur essai, un début de glamour juste pour elles. Sourires et aurevoirs nombreux en partant vers d'autres achats. PLusieurs dizaines de paires de bas, nylon ou soie, rayonne aussi pour le fun du collectionneur, des couleurs et des coutures, des noirs et des gris surtout, du passé revisité sur des jambes du présent.
BIentôt d'autres brocantes, d'autres découvertes, d'autres pépites de douceur, d'autres rencontres pleines d'humanité, voire de volupté.
Nylonement
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