Voyager dans le temps, toujours une volonté vaine, une application impossible malgré les écrans toujours plus nombreux qui nous entourent. Mais heureusement sur mes étagères, dans la chaleur de mon petit appartement, je trouve des livres, ceux de mes parents et même certains de mes grands-parents. Et dans un coin, les albums photos de l’époque, des vestiges que je n’ouvre pas souvent. La douleur a été longtemps là, en pensant au déménagement forcé de ces grands formats reliés parmi tant d’autres affaires, au lendemain de leur départ. J’avais le trouble de cet accident, de leur décès, l’un immédiat, l’autre après plusieurs semaines de coma. Un uppercut brusque, droit au coeur, une violence intense, une force rattachée à tous leurs objets hérités trop tôt, trop vite, sans un mot.
Souvenirs instantanés, toujours là, mais aujourd'hui, avec le temps passé mais pas l'oubli, la guérison de certaines blessures, j’avais envie de rompre cet aura obscure pour ne plus vivre qu’avec la nostalgie de mon enfance avec eux. Rien de plus, juste des traces communes, de notre passé commun, de leurs vies d’avant. Calée dans un fauteuil club, celui du bureau de mon père, enroulée dans ma tunique longue en laine bleu roi, mes jambes chaudement lovées dans un collant opaque noir, sous mes fesses, la chaleur d’un cocon, j’ai ouvert le premier des cinq tomes. Mes grands-parents, maternels et paternels, un grand mix, des photos en noir et blanc, figées dans les poses d'antan, des annotations dessous, je voyageais dans leurs villages, leurs métiers, devant la boulangerie pour une famille, devant la quincaillerie et épicerie pour l’autre. Des lieux, des lumières et toujours les fêtes officielles comme les mariages, les baptêmes et les communions, mes parents redevenaient enfants. Curieux de les voir ainsi, si jeunes, si proches de mes sœurs, mon frère et moi, des traits de visages si familiers. Sourires, une gorgée de thé chaud, le chat qui bondit sur l’accoudoir, lui aussi semble intéresser par le contenu de ces pages. Je passe au deuxième, toujours la famille, quelques photos plus anciennes, des ancêtres même, parfois des très vieux clichés de la fin du XIXe siècle. Tout cela me semble si loin, des personnes inconnues, que je découvre comme étant des aïeuls, des robes d’époque, des corsets aussi pour la belle époque, une vague d'histoire. Une mariée un peu triste, juste après la première guerre, un mari manchot, je tourne et retourne les pages car je vois cette famille pour la première fois. Ma famille. Je sais que les volumes quatre et cinq sont consacrés à ma génération, quelques cousins mais surtout nous, en noir et blanc sur quelques photos, mais abondamment en couleurs. Toutes nos vacances, nos exploits sportifs et scolaires, nous bébés, enfants et adolescents. Ma génération, avec eux.
Le troisième s’ouvre devant mes yeux. La vie de mes parents, des photos triées par ma mère, durant les vacances d’hiver, en reprenant les tas qui traînaient ici et là, dans des boîtes cartonnées, trouvées chez les anciens, oubliées le plus souvent. Elle avait appris à utiliser le scanner pour numériser, pour partager avec tous mes oncles et tantes, les exemplaires uniques, les liens des uns et des autres, les fêtes de famille, les nombreux mariages, les rigolades de leurs enfances. Tourbillon dans le temps, au cœur de leur adolescence, de leurs premières libertés, mai 68 étant passé par là, leurs premiers pas en couple, en communauté même, un instant flower power, entre les années 60 et 70, un traveling complet sur la mode, mon père devait être amoureux pour conserver autant de clichés de ma mère. Leurs voyages en France mais aussi en Europe, une autre dimension de ces décennies, et un parallèle fort avec la modernité de notre monde actuel. Les paysages sont là, les voitures plus rares, les ambiances semblent désuètes. Douceur, le chat ronronne, regarde mes mains qui tournent les feuilles, attrapent la tasse et un gâteau. Pas de caresses, il cherche mon regard perdu dans les pages, sautillant de photo en photo.
Ma mère, un peu de mes sœurs, les mêmes yeux que mon frère, mon père, leurs jeunesses, une confusion possible avec notre vie d’adultes, nos enfants, les visages se mêlent. Seules les voitures, les couleurs des tapisseries en arrière-plan diffèrent. Parfois certains meubles sont bien là, dans mon couloir, chez ma sœur aînée, dans le bureau d’avocat de mon frère, d’autres ont disparu de notre univers. La mode, les jupes longues, les jupes midi, les mini-jupes, tous les formats, des matières lourdes et puis aussi plus fluides, des imprimés difficiles à vivre pour un caméléon. Des couleurs vives, quelques rares pastelles, des pulls moulants, des cols roulés en polyester d’une autre génération, des couleurs toujours, des collants, ma mère adorait les porter et savait miser sur ses jambes. Des bottes, deux paires de cuissardes, des escarpins, peu de hauts talons ou alors avec des talons compensés assez lourds visuellement.
Au fil des pages, des polaroids ou des photos, une couleur qui ressort, une volonté, une force, une signature marquante, le rouge, la mini-jupe rouge en velours boutonnée devant, une version trapèze sur collant noir, une autre version en skaï peut-être avec une coupe très Courrèges. Des robes aussi, version trois trous, revenues à la mode des années après, je me vois dedans, ma fille, ma longue adolescente aussi. Etrange voyage entre le passé et le présent, entre les tendances qui changent, varient, se renouvèlent pour finalement emprunter des saveurs d’antan. Trapèze ou droite, crayon ou plutôt corolle, patineuse ou longuee, fluide ou un peu plus rigide, les matières et les couleurs adoptent les saisons et les années. Leurs styles, le style de la mère, mon style, celui de ma fille, des liens invisibles s’immiscent sur nos silhouettes, s’amusent de pièces vintage ou de nouvelles créations pour nous immortaliser sur des photos, des polaroids, des cartes numériques. Images d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, les souvenirs, les infimes traces que nous laissons derrière nous, les signes d’une filiation d’envie de mode, de vies, d’héritage.
Je suis émue, dès le prochain week-end, je vais aller sur le net ou en boutique pour me trouver une nouvelle jupe rouge, un lien féminin insoluble malgré le temps.
Nylonement
Ma mère, un peu de mes sœurs, les mêmes yeux que mon frère, mon père, leurs jeunesses, une confusion possible avec notre vie d’adultes, nos enfants, les visages se mêlent. Seules les voitures, les couleurs des tapisseries en arrière-plan diffèrent. Parfois certains meubles sont bien là, dans mon couloir, chez ma sœur aînée, dans le bureau d’avocat de mon frère, d’autres ont disparu de notre univers. La mode, les jupes longues, les jupes midi, les mini-jupes, tous les formats, des matières lourdes et puis aussi plus fluides, des imprimés difficiles à vivre pour un caméléon. Des couleurs vives, quelques rares pastelles, des pulls moulants, des cols roulés en polyester d’une autre génération, des couleurs toujours, des collants, ma mère adorait les collants et savait miser sur ses jambes. Des bottes, deux paires de cuissardes, des escarpins, peu de hauts talons ou alors avec des talons compensés assez lourds visuellement.
Mais toujours une couleur qui ressort, une volonté, une force, une signature au gré des pages, le rouge, la mini-jupe rouge en velours boutonnée devant, une version trapèze sur collant noir, une autre version en skaï peut-être avec une coupe très Courrèges. Des robes aussi, version trois trous, revenues à la mode des années après, je me vois dedans, ma fille, ma longue adolescente aussi. Etrange voyage entre la passé et le présent, entre les tendances qui changent, varient, se renouvèlent pour finalement emprunter des saveurs d’antan. Trapèze ou droite, crayon ou plutôt corolle, patineuse ou longue, fluide ou un peu plus rigide, les matières et les couleurs adoptent les saisons et les années, leurs styles, le style de la mère, mon style, celui de ma fille, des liens invisibles s’immiscent sur nos silhouettes, s’amusent de pièces vintage ou de nouvelles créations pour nous immortaliser sur des photos, des polaroids, des cartes numériques. Images d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, les souvenirs, les infimes traces que nous laissons derrière nous, les signes d’une filiation d’envie de mode, de vies, d’héritage.
Je suis émue, et ce week-end, je vais aller sur le net ou en boutique pour me trouver une nouvelle jupe rouge, un lien féminin insoluble malgré le temps.
Nylonement