Sagement installée dans un salon de thé, je feuillette un magazine féminin, des pages people, des pages société et des collections de mode. Mon amie Julie doit me rejoindre après sa séance de soins chez l'esthéticienne. Images de mode à côté de mon thé blanc Dammam, je prends le temps de regarder les idées de la styliste. D'habitude, je tourne sans vraiment regarder, car entre les mannequins trop maigres et leur visage d'adolescente triste, mêlées aux folies soi-disant créatives d'imprimés accumulés, mélangés et mixés, je ne me retrouve pas. Pourtant j'aime sentir l'air du temps pour capturer une tendance, une étincelle de féminité ou un futur basique indispensable. Quadra depuis peu de temps, je cherche aussi des idées pour mes enfants, mes deux filles et mon fils. Balade shopping chaque fin de mois, ou pour leur anniversaire, nous sortons pour trouver notre coup de cœur du moment.
Mode d'hiver même si nous sommes encore en été en ce début septembre, le monde n'est jamais en retard pour courir après le temps. Page après page, je vois les couleurs, les pulls longs, les jupes courtes, les collants, les bottes et quelques bottines. Le photographe a enfin réglé son objectif, car les trois derniers numéros, les séries étaient floues, ou avec un coup de zoom décalé. Je ne comprends pas toujours la valeur esthétique du résultat. Du rouge, du tartan, du velours, des résilles, du cuir, des tee-shirts en superposition. Des souvenirs.
Petit retour dans le passé, les années de jeunesse, une rebelle attitude, une profonde envie d'emmerder mon père et la nouvelle belle-mère dans leur appartement bourgeois face à la plus belle avenue. Les années collège puis lycée, j'étais en plein bouleversement. Le divorce de mes parents, mes hormones en ébullition permanente, ma grande soeur déjà partie en école de commerce, l'adolescence et les premières fois, surtout la rage d'être moi, sans vraiment savoir ce que je voulais être ou faire de cette grande silhouette. Grandir finalement n’est pas simple, être enfant devient pesant, mais c’est si confortable. Alors un jour, en écoutant des morceaux piratés en concert par des amis, de la musique underground, j'ai vu mon style sur une pochette, une punk révolution. Mes idées et mon corps ont suivi, mes propos aussi. La belle-mère a vu sa nouvelle jupe Burberry devenir plus courte d'un coup de ciseau oblique, idéale avec des collants résille pour sortir un samedi soir sur Paris. Un cuir négocié à Pigalle dans une fripe, et hop je devenais la bad girl de ce groupe. Je forçais sur le maquillage entre deux stations de métro, dans un reflet de vitres, les yeux noirs, les cheveux rapidement décoiffés et fixés avec du gel. Cigarettes bien sûr et autres douceurs de jeunesse, pas vraiment autorisées, je buvais des bières au goulot avec ma bande d’un soir. L’anarchie ne permettait pas un suivi de la masse d’idées et d’énergumènes, leurs libertés étant au cœur de leurs mouvements, de leurs squatts et de leurs envies pour chaque jour. Parfois j’ai été un peu trop loin, entre vomi et soirées trop près des limites. Quelques bières cassées sur un pare-brise, des provocations inutiles, des insultes et des flics, un cocktail trop fort, vite accompagnée d’une soirée dans une cellule, ma tenue punk avait perdu de sa saveur au petit matin. Mon père avait dormi, refusant lui aussi par liberté personelle de venir me récupérer, c’était mon expérience m’avait-il dit simplement, sans autre procès. Si ! un sac plastique devant ma chambre, pour y jeter ma jupette plissée en tartan rouge, mes tee-shirts sales à trous et autres guenilles, le sort était jeté. J’ai repris forme, du moins, je suis partie vivre chez ma mère, plus sobrement, avec mes études devant moi, mon lycée, mon école de commerce, mes sorties moins nombreuses, un calme nouveau en moi, autour de moi. Ma mère m’apportait un cocon d’amour dans lequel je vivais heureuse, avec parfois encore des instants rebelles, plus rares, plus doux, plus chics aussi.
Que cette époque est loin soudain, là devant mon thé, avec quelques macarons, je regarde les tenues des jeunes, plus variées que dans le passé. La mode, ce moyen d’expression pour affirmer son caractère, permet aujourd’hui avec le choix immense de varier son style, d’en changer aussi souvent que souhaité. Je regardais ma jupe droite bleu marine, surlignée d’une finition en cuir sur le bord, juste au-dessus du genou. Un collant noir opaque, des bottines de marque, une belle affaire en soldes mais j’en avais acheté d’autres avant dans d’autres teintes. Un petit pull en cachemire, une douceur inégalable sur un caraco en soie, des folies trouvées avec mon mari lors de son dernier déplacement à New-York, ou peut-être à Londres, j’aime le suivre lors de ses séminaires de cardiologie, en me baladant entre musées et boutiques. Ma vie a suivi son cours, un beau diplôme, une spécialisation et deux entreprises pour devenir responsable marketing dans le luxe. Et le hasard d’un repas, un bel homme, un costume impeccable, de belles références glanées entre deux flûtes de champagne rosé, mon collier de perles qui l'a fait rire. Nous avons eu un coup de foudre mutuel, plaquant nos vies précédentes pour vivre ensemble. Le comble a voulu que j’hérite du fameux appartement haussmannien, re-décoré en devenant maman par trois fois, un fils et des jumelles. Je passe maintenant mon temps à aider une amie dans un projet d’entreprise, j’y pense aussi pour moi, dans le secteur de la lingerie de luxe. Je m’occupe des enfants, de l’école, des sorties, du sport de chacun, des invitations aux anniversaires, et je fais les boutiques avec eux.
L’adolescence les guette, seront-ils aussi rebelles malgré le confort familial ? Dans un carton, dans la pièce de service, se trouve rangés ma jupette tartan rouge, mes doc martens et autres accessoires anciens, des fripes vintage maintenant. Je porte encore du tartan dans une version chic, plus classique, plus actuelle, pas forcément rouge, plutôt un dégradé de gris. Avec toujours la même belle énergie, une autre féminité.
Nylonement