Marcher dans la rue, et soudainement être absorbée par la texture du mur, devenir transparente, invisible pour toute cette foule autour de moi, pour ce monde entier qui ne me voit plus.
Stopper, voir ces mouvements continus, cet arrêt sur image juste pour moi, autour de moi, sur moi, à travers moi. Je ne suis plus là. Je croyais exister et depuis une heure, je ne suis plus là. Les souvenirs sont bien là, un passé bien actif, dans ma mémoire, dans ma vie courante, du moins jusqu'à hier, j'étais. La jeune femme que je pensais être, consulte son téléphone, ce fil à la patte, ce lien impossible parfois dans ses périodes de silence, ce lien si tenu quand les gens se suivent, se parlent, partagent leurs réunions de travail, appellent pour préciser les éternels retards des transports. L'heure, les minutes et le secondes, le temps tourne toujours, rien de figé. Juste moi, mon enveloppe corporelle devenue diffuse, trouble, inexistante.
Un répertoire, deux doigts sur l'écran, des images, des groupes, des sujets, mes copines, ma famille, mon ex, oui bof, de la déco, ma passion pour l'équitation, les chevaux donc, et mes selfies. Truc débile par excellence, sans vocation artistique aucune, souvent souvenirs de soirées entre potes, de sorties en boîte, de vacances improvisées, de tenues plus ou moins réussies. Je glisse mon doigt, je suis bien là, face à un miroir, dans des toilettes, dans un restaurant, devant des vitrines, à un concert, dans une chambre, un soir de fête, le mariage de ma soeur. Je suis là dans cette machine, juste là.
Et pourtant cette palissade, ces travaux, ce mur défait, le trottoir, la rue, personne ne me voit. Ma coiffure semblait parfaite ce matin, je me revois dans la salle de bain, douche, séchage, serviette chaude, maquillage, eye-liner, un peu de rose mais pas trop sur ma peau claire, un rouge à lèvres clair, un rose tendre, pas trop voyant. Un coup d'oeil sur mes ongles, nickel depuis hier soir. Mes fiches, mon dossier, mon petit déjeuner en lingeries pour ne pas faire de tâches sur ma robe. Un collants opaque, une tunique longue pull gris, un ceinture, un trench dessus, mon sac pas trop grand pour éviter mon côté bazar ambulant, pas trop petit car je ne suis pas en petite robe noire et sortie restaurant.
Tout était là, je suis arrivée à l'heure, j'ai attendu. Et puis deux entretiens, et ce vide en sortant, cette chaleur de printempes ressentie à neuf heures, disparue à onze heures, deux heures qui ont aspirées ma vie. Toutes mes sensations aussi.
Rien, mon profil, pas mon corps, juste des mots sur un cv, vite relu, dix candidates dans la salle, toutes alignées comme des poupées, toutes la tête droite, le regard fuyant la concurrence, personne ne parlait. Rien de ce moi de papier et de mots, de moi présente, ne valait de choisir mon avenir, et donc mon présent. Ce nième rendez-vous stérile où je me donne, je me vends, je me marchande, je suis ressortie avec rien. Même plus l'envie d'être moi.
Et puis les autres, eux, ils oublients qui je suis, ils sont occupés par leurs vies, ils se déplacent de A vers B. Peut-être ont-ils l'idée que le boulot tombe tout seul, ou mieux encore que les sans-emplois pour ne pas dire honteusement les chômeurs, se moquent de travailler. Le rapport est un peu différent, franchement moins engageant. Des dizaines d'appels, des emails par centaines, des versions par dizaines, des conseils si nombreux que je pourrai écrire un livre sur le faire, le défaire, le refaire et son contraire. Je suis vidée, désesperée n'est pas le mot, car je ne vois plus mes pieds, pourtant j'avais mis des bottines. Je suis aspirée par le néant de ne plus être réellement un humain, ou peut-être de seconde zone. Un mimétisme troublant avec le non-être d'une vie intérieure et d'un corps extérieur.
Invisible et consommée, bientôt digerée par la société.
Nylonement
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