Lundi, lundi de mars, lundi d'hiver encore. Le ciel est entre gris et blanc au-dessus de mon velux, dans mon studio un peu froid. Lui est déjà parti, en mission pour la semaine, moi j'ai démissionné la semaine dernière. Fin d'une relation triste avec des collègues stressées, pâles et sans sourire, fin de cette relation d'objet à vendre. Je suis épuisée par ce manque d'humanité, et là encore ce matin, sans rien, après tant de larmes, tant de bras serrés autour de moi, je peine à trouver un sens à mes prochaines semaines.
Je déprimais, mais j'aurai pu glisser plus loin, pour le seul bonheur de gens qui me relançaient avec une éternelle remarque sur l'effort, sur le monde est difficile, mais toujours en oubliant que je n'étais pas un paquet de viandes sou vide, qu'ils ne disposaient pas de moi comme d'un produit. Sans moi ils ne sont rien, sans eux, je ne suis pas grand chose, je le sais. Mannequin, un boulot usant, frustrant, pesant fait d'attente et de longueurs, puis de courses, d'ordres, de froid et de chaud, de folies en tous genres.
Entre le styliste, souvent créateur raté, se lance dans un délire d'envies, de cri, d'hystérie hormonale, de besoins et d'envies qui contredisent les premières, et si je suis le mannequin, je ne suis pas de chiffon, ni une poupée mais bien humaine. Les assistantes terrorisées et souhaitant en même l'éviction pour la moindre faute de la première, je jongle entre leurs coups fourrés pour ne pas attraper froid en posant dans un studio trop grand, avec des décors délirants ou sur des plages à l'autre bout du monde, sans intérêt, sauf le wifi à l'hôtel, enfin le soir. Non, je n'accroche pas avec ce style, cette mode, cette volonté aussi de déstructurer tout, de chercher un autre sens, souvent aucun sens à tout, à donner un contre-sens au vingtième degré en posant avec des talons hauts de quinze centimètres, valant mille euros, mais plongés soit dans du sable et de l'eau de mer, avec une fourrure, soyons con jusque boutiste, ou les mêmes escarpins dans un souterrain glauque, puant, un atmosphère de poubelle, des flaques d'huile de vidange.
Et puis finalement je suis payé pour sourire, faire la belle, faire la belle modèle, la plus belle avec le plus grand sourire, j'ai tant entendu les superlatifs, et finalement maintenant pour ne pas détourner les futures clientes du produit que je porte, je dois faire la gueule. Rien, un regard vide, une moue, un visage maquillée mais inerte de la moindre émotion. C'est tendance, et un petit groupe s'autocongratule sur les modes, les couleurs et les imprimés qui feraient mourir un kaméléon, même adepte des clowns. Je les regarde effectivement avec une lassitude profonde, et donc je leur dis ce que je pensais d'eux, de leurs minauderies, de leurs manque profond de talent, de leur exigence sans rapport entre les personnes présentes, la communication sans autres valorisations, juste des remarques, des pensées négatives, ce reél manque d'envie finalement. Créatif, j'ai expliqué ce qui leur manquait aussi, ce recul sur eux-mêmes, ce besoin de vivre sous une pression non constructive, cette mélasse qui était leurs pensées, et puis j'ai ri.
Totalement, même en allant chercher mon chèque, donner ma démission, en claquant les portes, en donnant ma vérité d'humaine à mon agent, en la coupant dans une de ses nième discussions masturbatoires sur le poid de l'une ou l'autre, celles qui attendaient dans le couloir. Je me suis lâchée, peut-être flinguée dans le métier, mais mon corps est autre chose.
Deux photographes ont vite appris la nouvelle, les rumeurs, le coup de vent pris en pleine face par certains, et ils m'ont booké aussitôt, pour mon corps libre, ma fougue, mon impertinence et mon sourire.
Une semaine commence, une nouvelle semaine.
Je suis mannequin, je suis libre, pas totalement, mon corps est fatigué, mais le soleil pousse les nuages, l'envie est là, avec ce futur printemps, les couleurs. Moi.
Nylonement
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