Je suis anonyme, sans réelle existence dans ce monde qui m'est encore inconnu partiellement. Dans un camion, à travers des frontières, sans réels papiers et payant fort cher, mes parents ont facilité du travail de toute leur vie pour que je partes ici. Dans ce pays occidental, aux manières découvertes dans un livre, dans quelques films et avec mes base de langue anglaise, je me débrouille, des lointains cousins m'ont recueilli et je travaille pour eux tous les jours.
Longues semaines, longs mois et bientôt deux années dans ce fouillis de rues, de fatigue, de travail encore et de salaire minimum, avec un lit partagé avec une autre cousine, je dors la nuit, elle le jour, on se croise sans se connaître. Chacune a un job lié à ce clan, on ferme les yeux sur les rumeurs, moi j'appprends tous les jours, j'essaye en plus d'ouvrir mon espace autour de moi. Repousser les nouvelles frontières de la langue encore inconnue, du quartier, de la ville, des usages, des transports en commun. Petit à petit je vois le ciel bleu, j'essaye de voir le bleu plus encore proche de moi. Pour les clients du restaurant, je ne suis qu'une chinoise, une asiat qui écrit des numéros sans comprendre le sens du menu, de leurs remarques, de leurs réflexions. Mais je progresse tant dans l'émotion que dans la haine. Je saisis les sens, je traduis en moi, je développe mon futur.
Car avant de venir ici, j'étais professeur, j'avais étudié la biologie mais aussi des notions de vente, dans une école mixte avec quelques étrangers. Et sans rien en dire, j'avais appris les bases du français, mais jamais je n'ai dévoilé mes cartes, mes atouts pour réussir, juste un soir à ma mère. Voilà pourquoi je suis ici, mais pas pour la vie, mais bien pour devenir l'avenir réussi de ma famille. Une autre femme, plus droite, plus respectée, plus debout face à ce passé encore lourd sur les épaules. Aujourd'hui après que mes parents aient payé mon passage, je paye encore un droit pour travailler, sans papiers officiels. Cela pourrait être pire, comme ma colocataire de lit, elle se vend. On l'exploite. Je ne sais pourquoi je suis là, d'après quels critères, je fais la serveuse, pour quel honneur de famille ou autre sombre raison.
Demain, je serai libre, un jour je partirai, pour avoir des papiers, les moyens de travailler honnêtement, d'être moi, de vivre et de dormir là où je l'aurai décidé. Une liberté née de plusieurs sacrifices, sur plusieurs générations. Comment y croire ? Mais en moi j'ai encore une force cachée, une fierté qui me tiendra toujours face à l'adversité. Faut-il se battre pour être simplement moi-même ? Combien de frantières invisibles encore à traverser ?
Nylonement
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